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L’ÎLE DE CYPRE.

seule lettre, le s. Tout au moins le problème était-il posé correctement et les principaux élémens d’une solution étaient-ils réunis.

Depuis que l’attention a été tournée de ce côté, le nombre des textes cypriotes n’a pas cessé de s’augmenter. En 1877, M. Bréal exposait, avec cette rare lucidité qui fait le charme de tous ses travaux, l’histoire des recherches qui ont abouti au déchiffrement de cette écriture ; dans cette étude, il évaluait à près de quatre-vingts le nombre de ces documens, plus ou moins complets, plus ou moins bien conservés[1]. Tout récemment encore, de nouvelles inscriptions viennent d’être découvertes ; voici même que l’île commence à nous en expédier de fausses. Par bonheur, ces fraudes arrivent trop tard ; il y a quelques années, elles auraient pu gêner singulièrement les savans et les jeter hors de la voie ; aujourd’hui le travail est trop avancé pour qu’on puisse aisément leur faire prendre le change. Les résultats obtenus ont été dus surtout à la tablette de Dali ; par l’étendue et la conservation merveilleuse du texte qui y a été gravé, elle demeure le plus important des monumens de l’écriture cypriote, celui qui a fourni le plus grand nombre de lettres et qui a servi tout à la fois de point de départ et de moyen de contrôle pour toutes les lectures proposées. Avec toute la collection de Luynes, elle est entrée, ainsi que d’autres objets de même provenance, dans le cabinet des antiques de la Bibliothèque nationale.

Les achats de Ross, de M. de Mas Latrie, de Saulcy, Péretié et autres voyageurs européens avaient appris aux paysans quel parti ils pouvaient tirer de leurs trouvailles ; on n’avait plus à craindre des destructions comme celle de la statue de bronze dont Ross avait recueilli la lamentable histoire. Pourtant, dans l’île même, les Grecs avaient toujours à redouter l’avidité jalouse des fonctionnaires turcs ; ils prirent donc l’habitude de faire passer à Beyrouth tout ce qui se laissait facilement transporter. Là du moins ils échappaient à la surveillance de leurs maîtres. Cet expédient et la prime qu’il assurait aux fouilleurs eurent l’avantage de faire sortir de terre et de conserver beaucoup de vases, de statuettes, de terres cuites et de bronzes ; mais, en revanche, il en résulta des confusions fâcheuses : on était souvent fort embarrassé pour savoir quelle était la véritable patrie des objets que l’on achetait sur la côte de Syrie. C’est ainsi qu’il doit exister dans le cabinet de M. de Clercq bien des monumens de provenance cypriote ; en effet, depuis une quinzaine d’années, M. Péretié n’a presque rien trouvé, d’Alexandrette à Ascalon, qui n’ait été acquis

  1. Le Déchiffrement des inscriptions cypriotes, dans le Journal des savants (août et septembre, 1877).