Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
567
L’ÎLE DE CYPRE.

des origines de la civilisation grecque, dont la nôtre est l’héritière et la continuatrice.

La question commençait à peine à se poser lorsqu’au printemps de 1845 Ludwig Ross visita l’île de Cypre. C’était un savant distingué, dont les travaux sont encore aujourd’hui consultés avec fruit. La royauté bavaroise l’avait amené en Grèce ; elle l’avait nommé conservateur de toutes les antiquités du royaume et elle lui avait ménagé l’honneur de fonder l’enseignement de l’archéologie classique dans la jeune université d’Athènes. Instruit, curieux et actif, il fit tourner au profit de la science cette haute situation officielle. Ce furent surtout les îles, jusqu’alors si mal étudiées, qui attirèrent son attention. Pour les explorer, souvent il profita des voyages royaux, où sa place était marquée dans la suite du prince ; d’autres fois il tira parti de la présence en Grèce de quelque éminent érudit, pour lequel c’était une bonne fortune que de trouver un compagnon connaissant si bien le pays ; c’est ainsi qu’il parcourut pour la quatrième fois les Cyclades avec le grand géographe Karl Ritter. Souvent aussi il partait seul, ce qui est encore la meilleure manière de bien voir sans se hâter, sans rien sacrifier de son programme. Sur le terrain, dans un voyage d’exploration et de découverte, il n’est si cher camarade et ami si dévoué qui ne puisse devenir à un certain moment une gêne et un obstacle.

Ross aborda seul à Larnaca ; dès le surlendemain, il se mettait en route. Il parcourut la plus grande partie de l’île ; presque tous les sites historiques qu’elle présente furent l’objet de son examen ; mais il ne resta que six semaines en tout. Ce fut donc plutôt une reconnaissance rapide qu’une étude approfondie. Il ne pouvait être question de fouilles, quand les jours étaient ainsi comptés ; à peine quelques coups de pioche furent-ils donnés, sans résultat, sur l’emplacement de Kition. Le temps manquait, même pour relever tous les vestiges apparens de l’antiquité, pour recueillir tous les renseîgnemens que pourraient fournir les habitans. Chacune de ces excursions trop rapides laissait après elle un regret. Comme Ross nous le raconte lui-même, souvent il apprenait de quelques paysans qu’à tel ou tel moment il avait passé près d’une ruine qui pouvait être intéressante, près d’un village où l’on avait trouvé des inscriptions et d’autres monumens anciens. Il était tenté de retourner sur ses pas ; mais déjà le détour eût été trop long, et il continuait sa route en notant ce détail pour ceux qui viendraient après lui. Le séjour qu’il comptait faire dans l’île fut d’ailleurs encore brusquement abrégé par la peste qui avait éclaté en Syrie ; il eut peur de se voir indéfiniment retenu par une de ces quarantaines qui compliquaient alors d’une manière si désagréable les