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toute une Cypre oubliée, la Cypre catholique et latine, celle des princes et chevaliers de l’Occident ; c’était une véritable découverte.

Les premiers temps du christianisme et la période byzantine n’avaient guère laissé de monumens visibles. Édifices civils, militaires et religieux, les Lusignans, grands bâtisseurs, avaient tout reconstruit. Quant à l’antiquité, elle était tout entière ensevelie et cachée. L’île avait été trop prospère et trop peuplée au moyen âge ; toutes les pierres apparentes avaient été reprises et employées dans des constructions nouvelles. Rien n’a donc survécu, sinon ce qui de bonne heure a été dérobé aux regards et à la destruction par une couche plus ou moins épaisse de cette poussière que laissent à leur place les bâtimens qui s’écroulent et les générations qui s’éteignent, celles surtout qui ont été riches, affairées et puissantes.

Richard Pococke, ce voyageur exact et curieux dont les mérites ne sauraient être trop vantés, est le premier dont la relation, publiée en 1745, ait pu donner l’idée des aubaines et des surprises que Cypre réservait à l’érudition ; il en rapporta trente-trois inscriptions, copiées à Larnaca et provenant de Kition, qui composèrent pendant assez longtemps à elles seules presque tout le legs épigraphique de la Phénicie ; ce fut sur ces textes que se firent les premiers essais de traduction, grâce auxquels on reconnut les rapports étroits qui rattachaient le phénicien à l’hébreu. Depuis lors, de temps en temps, quelques menus objets, quelques figurines en pierre ou en terre cuite, trouvées par un laboureur dans son champ, sous le soc de sa charrue, ou par un maçon, dans les fondations qu’il creusait, arrivaient, souvent après avoir passé par bien des mains, jusqu’aux collectionneurs européens. Déjà le comte de Caylus indique, comme propre à Cypre, un trait de costume qui l’avait frappé, ce vêtement long et collant qui dans beaucoup de figures cypriotes descend, sans faire de plis, jusqu’aux pieds, en dessinant les formes du corps ; avec sa curiosité passionnée, son expérience et son tact, cet amateur a été souvent en avance sur les érudits de profession[1]. Vers le même temps, Winckelmann, Zoêga, Visconti et leurs élèves ne savaient rien de l’art cypriote et de ses caractères particuliers ; aucun d’eux n’en soupçonnait le rôle, n’en devinait l’importance historique. C’est vers le milieu seulement de notre siècle que l’on commence à s’occuper de Cypre, à en interroger le sol, à comprendre qu’il renferme certains des élémens du grand problème que la science travaille à résoudre, celui

  1. Recueil d’antiquités, t. VI, pl. 18, fig. 3 et 4.