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En 1769, à la mort du pape Clément XIII, Bernis partait pour le conclave, et après le conclave il restait à Rome comme représentant de la France. Il y est resté vingt-cinq ans ! Il trouvait dans cette longue ambassade son vrai cadre, le couronnement de sa carrière, tout ce qui pouvait le mieux flatter ses goûts, l’occasion de se mêler à quelques-unes des plus sérieuses et des plus délicates affaires du temps au sein d’une grande représentation.

Nul n’était plus propre à cette diplomatie à la fois mondaine et ecclésiastique. Il avait l’autorité du rang, la dignité aisée du caractère, la souplesse de l’esprit, l’art de concilier toutes les bienséances. Pendant son long séjour à Rome, Bernis prenait part à deux conclaves. Dans le premier, celui de 1769, il avait contribué, moins qu’on ne l’a dit, dans une certaine mesure encore cependant, à l’élection qui faisait de Ganganelli le pape Clément XIV. Au second conclave, celui de 1775, il avait une action plus directe et plus décisive dans l’élection de Pie VI, qui devait être le pape éprouvé par la révolution. Pour les deux pontifes qui se succédaient, Bernis était un ami écouté, admis à une confiance intime, et Clément XIV, avant de mourir, lui avait donné une dignité toute romaine en le faisant évêque d’Albano. Sa grande affaire, jusqu’en 1773, était la suppression des jésuites. Au fond, avec son esprit facile et libre, il n’avait aucune animosité contre l’ordre fameux. Il ne se gênait pas pour écrire à Voltaire qu’il ne croyait pas que la destruction des jésuites fût utile à la France ; « il me semble, ajoutait-il, qu’on aurait pu les bien gouverner sans les détruire. » La suppression une fois admise comme affaire d’état pour la France comme pour l’Espagne, il s’y employait avec une habileté patiente et douce, pressant le pape sans le violenter, le conduisant pas à pas au dénoûment, prix de quatre ans de diplomatie. Il avouait que lui il y aurait mis deux ans s’il eût été pape. Plus tard, d’autres affaires délicates, et notamment celle du cardinal de Rohan, mettaient à l’épreuve sa dextérité. L’ambassadeur avait acquis par degrés une supériorité aisée qui faisait dire au cardinal de Luynes : « On ne peut rien ajouter à la vigilance du ministre de France, à la justesse de ses vues, à sa patience inébranlable et à l’art avec lequel il sait manier les esprits. »

Représentant de la France, cardinal, ami des papes, évêque d’Albano en même temps qu’archevêque d’Alby, Bernis restait pendant deux règnes un ministre plus qu’ordinaire à Rome. Il s’était fait avec le temps une position exceptionnelle par la considération dont il jouissait. Il avait conquis les Romains en respectant leurs usages, en se façonnant à leurs mœurs et en les éblouissant par des magnificences de bon goût. Homme de manières faciles et « d’un commerce uni » dans l’intimité, il tenait à s’entourer d’une grande