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certain que dans les derniers temps de son pouvoir Bernis était un ministre bien agité, ayant trop d’idées, parlant aussi un peu trop de sa santé, de ses « coliques d’estomac. » Il avait fini par agacer le roi, par exaspérer Mme de Pompadour, à qui on faisait peur de son chapeau rouge, « en lui représentant que les cardinaux avaient toujours recherché les premiers rôles, » Le pauvre Bernis n’était pas de force à tenir tête aux événemens, à la colère d’une femme puissante et à l’ambition d’un habile homme comme Choiseul.

Jusqu’au moment décisif il s’était peut-être fait quelque illusion. Tantôt il rêvait des combinaisons qui ne l’excluraient pas entièrement des affaires ; tantôt, pressentant sa disgrâce prochaine, il cherchait d’avance à l’adoucir, et il disait à Mme de Pompadour : « Nous séparer, à la bonne heure, rien de plus simple et de plus facile ; mais pourquoi un coup de poignard ? « Il était bien condamné ! Le 30 novembre 1758 il avait reçu le chapeau à Versailles des mains de Louis XV, qui prétendait qu’il n’avait « jamais fait un si beau cardinal. » Le 13 décembre, au moment où il se trouvait en conférence avec M. de Staremberg à Paris, il recevait du roi un ordre d’exil qui coupait court à l’entretien. L’astre ministériel de Bernis s’éclipsait, l’astre de Choiseul se levait. « Grande nouvelle à Paris, écrivait l’avocat Barbier ; M. le cardinal de Bernis, ministre d’état, a reçu une lettre de cachet du roi par laquelle il est exilé en son abbaye de Saint-Médard de Soissons… » Les uns attribuaient cet exil aux relations du cardinal avec « Madame infante, » les autres y voyaient le dénoûment et le châtiment d’une intrigue contre Mme de Pompadour. Frédéric II écrivait peu après de son ton supérieur et décisif l’épitaphe du ministre français : « On a trop exagéré le mérite de Bernis lorsqu’il était en faveur, on le blâme trop à présent. Il ne méritait ni l’un ni l’autre, »


IV

C’est au mois de décembre 1758 que Bernis part pour son exil du Soissonnais. Ce n’est que six ans plus tard, en 1764, après la paix, qu’il est autorisé à revenir à la cour ; ce n’est qu’en 1769 qu’il reparaît sur une scène nouvelle, comme cardinal au conclave, puis comme ambassadeur de France à Rome. Ces longues années d’exil, il les passe à peu près, sauf quelques voyages de santé, dans une résidence qui n’est pas sans charme, qui dépend de l’abbaye de Saint-Médard, au château de Vic-sur-Aisne,

Il y était arrivé par un jour d’hiver, l’esprit assez libre pour dormir la première nuit deux heures de plus que de coutume et pour aller le lendemain matin chasser aux oiseaux dans le parc.