Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturelle, un recensement d’un nouveau genre. Il a eu l’idée de faire donner à la fois dans un très grand nombre d’écoles de Paris, libres et communales, deux sujets de composition : dans l’un on demandait aux élèves d’indiquer parmi leurs études celle de leur prédilection et de leur choix, dans l’autre de signaler la profession à laquelle ils désirent se livrer, et les motifs de leur préférence. Les enfans, ainsi pris à l’improviste, sans aucune préparation, ont dû exprimer de la manière la plus naïve et la plus sincère, sans aucune prétention de style, leurs projets, leurs sentimens, leur situation domestique. M. Gréard a reçu ainsi plus de trois mille copies qu’il a dépouillées lui-même, et dont il a extrait et classé les réponses les plus saillantes et les traits les plus significatifs. De là un tableau qui forme une grande partie de son rapport et, pour le psychologue, la partie sans aucun doute la plus piquante et la plus précieuse.

Avant d’entrer dans l’analyse de ce tableau, insistons d’abord sur la méthode qui a servi à l’obtenir. Il y a là, si je ne me trompe, un procédé qui pourrait rendre de grands services en psychologie. Pour bien connaître le caractère des enfans, on pourrait ainsi leur faire expliquer leurs idées sur toute sorte de matières appropriées à leur âge. Leur jugement, leur imagination, leur sensibilité s’y montreraient à nu, sans ce faux vernis de formes littéraires qui plus tard vient couvrir leurs impressions naïves et leur en donner de factices ; ou si même on voyait déjà apparaître quelques-unes de ces formes, elles seraient si gauches, si naïves qu’elles ne seraient qu’un trait de caractère de plus. On pourrait encore appliquer cette méthode dans des cas plus particuliers, pour étudier l’origine des idées, par exemple auprès des sourds-muets et des aveugles de naissance. Chacun de nous, en pensant, a conscience de penser ses idées sous la forme de mots, c’est-à-dire de sons, que souvent même on prononce à voix basse quand on a l’habitude de parler tout seul. A-t-on jamais eu l’idée de demander aux sourds-muets sous quelle forme leur pensée se présente à eux lorsqu’ils pensent pour eux seuls ? Leurs idées ne doivent-elles pas se présenter sous la forme de signes visibles ? Ils doivent avoir conscience de ces formes visibles comme nous des sons. Ceux qui ont l’habitude de beaucoup lire ou de beaucoup écrire peuvent se faire quelque idée de la pensée des sourds-muets ; car ils voient leurs idées presque aussi souvent sous la forme de l’écriture que de la parole. C’est ce qui arrive encore quand on lit un nom propre dans une langue étrangère sans savoir le prononcer : il parle aux yeux, non à l’ouïe. Pour les aveugles, il serait très intéressant de savoir comment ils se représentent l’espace et les figures géométriques. Diderot s’est occupé de