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rien de ce qui fait la forte originalité des grands acteurs de la vie publique d’une nation.

Ce général, qui est mort prince, qui en certains momens aurait pu aspirer à une fortune plus haute encore, Espartero était dans toute la vérité du mot un fils de ses œuvres, et c’est pour cela peut-être qu’il a été pour beaucoup d’Espagnols comme une expression vivante, populaire de l’Espagne nouvelle. Il était d’une humble famille de charrons. Il avait commencé sa carrière de soldat sous l’empire, dans ces armées nationales qui se formaient spontanément au-delà des Pyrénées pour repousser les invasions napoléoniennes. Plus tard il s’était élevé lentement, de grade en grade, dans cette guerre ingrate et obscure de l’Amérique du Sud où l’Espagne se trouvait engagée pour défendre sa domination contre ses colonies insurgées, contre les républiques naissantes des Bolivar et des San-Martin. Il ne prenait décidément un rôle qu’en 1833, au début du règne d’Isabelle II et de la régence de Marie-Christine, dans cette guerre où la monarchie constitutionnelle se formait laborieusement, où elle avait chaque jour à se débattre entre l’insurrection carliste et les mouvemens révolutionnaires : crise terrible de sept ans où Espartero devenait par degré généralissime de l’armée de la reine, où il avait la fortune de mettre fin à la guerre carliste par le traité qui a pris le nom de convention de Vergara. C’est alors, en 1840, que le parti progressiste trouvait en lui un chef populaire et que la politique allait le prendre dans son camp pour l’élever à la régence à la place de la reine Marie-Christine ; mais cette régence née d’une révolution disparaissait elle-même après trois ans, en 1843, devant une autre révolution dont un des chefs était le général Serrano, celui qui depuis a été régent à son tour dans des révolutions nouvelles. Vaincu, banni de la scène, exilé un moment, puis rappelé dès 1848, Espartero se retrouvait encore une fois en 1854 parmi les chefs du mouvement qui s’accomplissait à cette époque, dont son ancien adversaire O’Donnell avait pris l’initiative. Pendant deux années d’agitations, il restait président du conseil, pour s’éclipser bientôt devant son redoutable collègue de pouvoir, l’énergique O’Donnell, déjà impatient de dompter la révolution qu’il avait lui-même déchaînée. Le duc de la Victoire a passé une partie de sa vie dans des révolutions pour lesquelles il n’était pas fait. Par son origine, par ses instincts, il était affilié aux partis libéraux avancés, nous voulons dire aux partis avancés de son temps ; par honneur, par loyauté, par un sentiment de soldat et sans doute aussi un peu par inertie, il répugnait aux moyens révolutionnaires. C’était une sorte de Lafayette inactif, accessible aux tentations de la popularité, ambitieux de prestige, satisfait d’un grand ascendant moral sur l’opinion et peu propre à un rôle public.

Le duc de la Victoire, après 1866, s’était retiré définitivement à Logrono dans sa modeste maison. Il y vivait honoré, en dehors des partis,