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voyant réduite à n’être plus que l’ombre d’elle-même, que la destinée était cruelle pour les cités puniques ; pourtant il n’était pas abattu : il rêvait une grande coalition de l’Orient contre Rome. Il se rendit à Éphèse auprès d’Antiochus. L’Espagne était en pleine insurrection, Hannihal ne demandait au Séleucide qu’une petite flotte et une petite armée, il s’engageait à repartir pour l’Occident, à renouveler la guerre en Italie, et il donnait rendez-vous aux troupes d’Asie sous les murs de Rome. Mais il parla à des infatués qui, tout en le couvrant d’honneurs apparens, se moquèrent de lui, l’envoyèrent en Grèce, où il n’y avait rien à faire, l’en firent revenir, le lancèrent avec une flotte insignifiante contre la puissante marine de Rhodes. Son escadrille fut écrasée. En même temps l’armée d’Antiochus se faisait battre à Magnésie, et les Romains vainqueurs exigeaient de nouveau qu’on leur livrât Hannibal. Il s’enfuit en Crète, puis revint en Asie-Mineure auprès du roi Prusias de Bithynie. Ce Prusias était un pantin couronné dont il n’y avait rien à attendre. La haine de Rome poursuivit Hannibal dans ce dernier asile, et il allait tomber entre les mains des commissaires envoyés pour l’arrêter, quand il s’empoisonna pour échapper à cette honte suprême. Il avait soixante-quatre ans. Pendant plusieurs siècles, on montra aux voyageurs un tumulus élevé dans un recoin du littoral de la mer de Marmara en leur disant que c’était le tombeau d’Hannibal. Scipion l’Africain mourut la même année 183 avant notre ère.

Carthage, humiliée et asservie, était donc redevenue riche. Massinissa en profita pour faire des incursions sur son territoire. En vain Carthage demanda au sénat romain la protection garantie par îles traités, le sénat fit la sourde oreille. Elle crut alors qu’elle était en droit de se défendre elle-même, elle arma. Il n’en fallut pas davantage pour éveiller dans Rome les soupçons et les appréhensions. Caton l’ancien passa en Afrique ; il fut épouvanté de la richesse et des forces revenues à la cité détestée. Il reparut à Rome avec l’idée fixe du delenda Carthago, et, pour donner à ses craintes une expression symbolique, il déposa devant le sénat des figues carthaginoises d’une grosseur et d’une fraîcheur étonnantes. Le territoire, dit-il, sur lequel poussent de pareils fruits n’est qu’à trois jours de navigation ! La ruine totale et définitive de Carthage devint aussi l’idée fixe du peuple romain.

On commença par lui rogner dents et ongles. Carthage accorda tout ce qu’on lui demandait, trois cents otages des premières familles, ses provisions d’armes, ses deux mille catapultes ; mais, quand on exigea de ses habitans qu’ils consentissent à ce qu’elle fût rasée et rebâtie à 10 milles de la côte, l’indignation, de désespoir ne comment plus de bornes, et l’on se prépara à une défense acharnée.