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ophthalmie douloureuse qui le prive d’un œil, il remporte sur les légions romaines les éclatantes victoires de la Trébie et du lac Trasimène ; il est dans l’Italie centrale, il pénètre au sud de Rome, traverse toute la péninsule en vainqueur, obligé seulement de lutter d’adresse avec Fabius le temporisateur qui, n’osant lui livrer bataille, joue contre lui un jeu stratégique fort habile, mais sans jamais réussir à le cerner. En attendant, l’armée d’Hannibal est toujours là, enfoncée comme un coin de fer au cœur même de l’Italie prête à profiter de la moindre faute pour tomber sur Rome. A la fin, les Romains veulent tenter un grand coup, et c’est pour perdre la terrible bataille de Cannes. Cependant ces merveilleux succès n’eurent pas pour Hannibal les conséquences qu’il en attendait. L’énergie de Rome, du sénat surtout, sauva la situation, et même bientôt après sa victoire Hannibal se vit réduit à la défensive ; mais il fit durer la guerre encore plus de douze ans, sans recevoir de Carthage autre chose que des renforts dérisoires. Il eut bientôt sur les bras cinq armées tâchant de l’envelopper et auxquelles il échappait toujours. On prétend que Capoue fut fatale à ses soldats et les amollit. Il fallait pourtant bien qu’il eût un point de repère et d’appui parmi les cités italiennes. Capoue, la seconde ville d’Italie, lui offrait de sérieux avantages et s’était prononcée pour lui. Les mœurs n’y étaient ni meilleures ni pires que dans tout le reste de l’Italie méridionale. Ce qui est plus probable, c’est que cette interminable guerre lui enlevait peu à peu ses vétérans d’Espagne, et que les recrues qui venaient remplacer ces excellens soldats étaient loin de les valoir. On sait comment, son frère Hasdrubal, venu d’Espagne avec une armée de secours, ne put le renseigner sur le lieu où il pourrait opérer la jonction, fut battu à Métaure, tué en combattant. Sa tête, jetée dans le camp d’Hannibal, lui apprit tout à la fois l’arrivée de son frère en Italie et son irréparable désastre.

La fortune, après une longue bouderie, sourit donc de nouveau aux Romains. En Espagne comme en Italie, ils remportèrent de brillans avantages. Un grand général, — ce qui leur avait manqué depuis le commencement de cette guerre, car le vieux Fabius n’était qu’un habile tacticien, — Cornélius Scipion, se révéla. Il put de Sicile se transporter en Afrique avec une armée romaine. Tout dès lors était changé. Hannibal fut rappelé en hâte. La bataille de Zama perdue par lui mit Carthage à la merci de Rome. Les conditions de la paix furent très dures, mais Hannibal fut d’avis de les accepter coûte que coûte. Il avait encore son idée que nous verrons plus loin. Pour le moment, nous devons nous poser quatre questions : Pourquoi Hannibal voulut-il se rendre en Italie par la route de terre, quand il paraissait plus facile et plus expéditif de s’y rendre par mer ? Pourquoi ne mit-il pas le siège devant Rome immédiatement