Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/433

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

construire des quinquérèmes. Le hasard la servit. Une quinquérème punique fit naufrage sur les côtes du Brutium, servit de type, et en deux mois cent quinquérèmes et vingt trirèmes furent prêtes à prendre la mer. L’enthousiasme, l’engoûment, s’en mêlèrent, fit ce qui le prouve bien, c’est qu’on trouva plus de soldats de terre qu’il n’en fallait pour composer la force agressive de ces vaisseaux improvisés. Quelques mots d’explication sont ici nécessaires.

La guerre des trirèmes et quinquérèmes était surtout une guerre de manœuvres. L’attaquant pliait ses voiles pour être sûr de ses mouvemens, faisait force de rames pour joindre son adversaire, tâchait de le couler d’un coup d’éperon quand il lui était supérieur en masse, ou, s’il ne le pouvait pas, le rangeait pendant un moment, faisait pleuvoir les traits sur son équipage, tachait de mettre ses rames hors de service, puis courait une bordée au large pour recommencer. L’adversaire, de son côté, s’efforçait d’éviter le coup d’éperon ou la décharge meurtrière ; il y réussissait souvent, et l’on ne se joignait que rarement pour s’attaquer corps à corps. On comprend combien cette tactique navale était favorable aux habiles marins de Carthage. Cependant les occasions se présentaient aussi d’en venir directement aux mains. Les rameurs étaient ordinairement des esclaves ou des gens de la classe inférieure recrutés sur le littoral ; leur rôle pendant l’action était tout passif : immobiles, courbés sur leurs avirons, ils faisaient évoluer le navire au commandement du keleustès ou capitaine. Le combat proprement dit était réservé à des soldats spéciaux. Les Romains, qui n’avaient pas d’aussi bons rameurs que leurs ennemis, voulurent modifier à l’avantage des soldats combattans les conditions du combat naval. Ils imaginèrent de dresser à l’avant de chaque vaisseau, à la hauteur de 3 mètres, une sorte de pont volant d’environ 3 mètres aussi, retenu contre un mât, et s’abaissant à volonté au moyen d’une corde et d’une poulie fixée au sommet de ce mât. A l’extrémité supérieure de ce pont était rivé un très fort crochet de fer, qui fit donner à tout l’appareil le nom de corbeau. Ce pont volant pouvait de plus tourner autour du mât de soutien « comme sur un pivot. Il avait près de 1 mètre 1/2 de largeur et portait des garde-fous atteignant à la « hauteur moyenne du genou. Si donc le vaisseau ennemi mettait le cap sur le vaisseau romain, soit pour le percer, soit pour le border en passant, celui-ci laissait arriver, faisait au moment propice tomber son pont volant, le grand crochet le fixait sur le pont ou dans les agrès de l’adversaire, et immédiatement des soldats romains le franchissaient et sautaient à bord de l’ennemi. C’était en résumé la substitution de l’abordage à la manœuvre nautique, et cette méthode nouvelle rapprochait beaucoup les