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ma confiance ; faites que l’accord se rétablisse et remettez-lui à Aden, au consulat de France, toutes les marchandises que vous retenez ; il remplira la mission dont je l’ai chargé. » Vivement désappointé, Abou-Bakr parut céder, le bateau postal était en ce moment au mouillage et devait partir le lendemain ; il donna l’ordre d’embarquer sur-le-champ les marchandises et les chevaux, mais en même temps il faisait défendre à tous les bateliers du port de passer le voyageur : l’un d’eux pourtant y consentit en secret, grâce à un gros bakchich. À bord, M. Arnoux revit ses pauvres chevaux ou du moins ceux qui restaient, la plupart étaient morts faute de soins et de bonne nourriture, les autres étaient méconnaissables. Sur le même bâtiment allaient Mohamet et les principaux des Éthiopiens. On toucha d’abord à Berberah, et le surlendemain, 18 novembre, on débarquait à Aden. En présence du vice-consul, M. Arnoux n’eut pas de peine à prouver, pièces en main, la vérité de sa mission, et les impostures de Gavré Teklé ; du reste, il consentait à se réconcilier avec ce dernier, selon le désir du roi ; mais les conjurés ne l’entendaient pas ainsi et soulevaient sans cesse de nouvelles difficultés ; un plus long séjour à Aden était inutile. M. Arnoux prit le parti de se rendre au Caire ; les calomnies l’y avaient précédé. Berné par les ministres égyptiens, tenu en suspicion par les autorités françaises, allant des uns aux autres et toujours rebuté, il apprend qu’en son absence les marchandises ont été débarquées et vendues à une maison suisse par l’entremise de Mohamet et de Gavré Teklé, pour la somme dérisoire de 11,000 talaris ; toutefois, l’agent du roi à Aden avait mis opposition sur la somme. En même temps, le bruit courait que les documens qu’il apportait étaient faux ; on l’accusait sourdement d’avoir fait lui-même assassiner ses deux compagnons. Par bonheur, les procès-verbaux étaient là, et M. Antoine d’Abbadie, le savant le plus autorisé en ce qui touche la langue amariña, a reconnu l’authenticité du sceau et des lettres royales.

Cependant le capitaine Martini était de passage au Caire, se préparant à rejoindre ses compagnons ; durant les six ou huit mois qu’il était resté en Europe, il ne s’était pas autrement occupé de M. Arnoux ; pourtant, lorsque celui-ci, dans une situation aussi douloureuse que peu méritée, lui demanda une déclaration explicite de ce qui s’était passé entre eux, Martini consentit sans peine, et la pièce fut rédigée en présence de plusieurs notables français ; mais quand il s’agit de la signer, Martini refusa sous prétexte qu’un document de cette sorte pouvait être nuisible aux intérêts italiens ; en réalité, il cherchait à se débarrasser d’un rival gênant. D’autre part, le Rév. Jacob, à peine arrivé en Égypte, s’était empressé de