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attirait tout naturellement autour de ma caravane ; mais ils furent vite détrompés, chez moi il n’y avait rien à prendre que du tabac dont on leur donnait de petites poignées ; quand leur tabac est bien brisé et comme en poussière, ils en prennent une grosse pincée qu’ils mêlent à de la cendre par parties égales, puis placent la boulette ainsi préparée entre la lèvre inférieure et les gencives, ce qui leur fait une sorte de bosse difforme et repoussante.

« La journée a été rude ; huit heures de marche sans eau, sous un soleil de feu ; Mohamet avait pris les devans, laissant la caravane éparpillée ; je dus rester en arrière, presser les traînards, aider moi-même à recharger les bêtes qui tombaient, veiller enfin à ce que rien ne me fût dérobé ; j’arrivai au campement deux heures après les autres. Nous approchions de Zeila, Mohamet se sentait chez lui, et son audace, son insolence, en augmentaient.

« Jeudi 3. Nous avons mis plus de six heures à traverser une plaine immense couverte à perte de vue de nids de fourmis blanches dont quelques-uns atteignent jusqu’à 3 mètres de haut. On se dirait au milieu d’une cité en mines d’où l’homme aurait disparu. Nous campons à Haré.

« Vendredi 4. Hier encore le Rév. Jacob a failli mourir ; en route j’avais chargé mon drogman de le prendre en croupe sur sa mule et d’avoir soin de lui, le malheureux pouvait à peine se tenir en selle ; à un moment il s’évanouit, on dut le déposer à l’ombre d’une maison de fourmis blanches où peu à peu il reprit ses sens. Deux heures après on arrive au campement ; je prends sur moi de lui administrer une potion, il passe une bonne nuit, et le lendemain il était sauvé. Plusieurs Éthiopiens de mon personnel sont aussi sérieusement malades ; la plupart des esclaves, garçons ou filles, dévorés de fièvre, épuisés par la dyssenterie, ressemblent plus à des squelettes qu’à des êtres vivans ; je les soulage de mon mieux avec les médicamens qui me restent.

« Samedi 5. Le Rév. Jacob va de mieux en mieux, il peut supporter les fatigues du cheval. Après une étape de six heures, nous arrivons au campement d’Aranono, où nous trouvons de l’herbe et de l’eau pour mes pauvres chevaux. Le lendemain nous allons coucher à Adagalla. Le lion, le sanglier et le gibier de la grosse espèce abondent en cet endroit. Nous y restons tout le jour suivant à cause des malades et des animaux qui ont besoin de repos. Deux autres étapes nous conduisent à Lassarar en passant par Sar-man (direction nord-nord-est). Plusieurs chameaux tombent en route et meurent ; les chevaux aussi fatiguent beaucoup, cependant nous avançons.

« Vendredi 11. Une caravane est campée dans notre voisinage,