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à le payer à Zeila en numéraire, mais d’ici là je ne sortais pas un écu de mes coffres ; ma parole donnée devait suffire. Par cette décision, à laquelle mon musulman ne s’attendait pas, je coupai court à toute réclamation.

« Cependant le temps pressait ; nous ne devions pas épuiser nos ressources au campement. Je cédai au marquis et à l’ingénieur, qui continuaient leur route vers le Choa, six de mes domestiques éthiopiens ; avec ces hommes, qu’ils armèrent, leur vie était plus en sûreté ; c’étaient en outre de bons nageurs qui devaient leur être fort utiles pour le passage du fleuve ; je leur donnai un sac de viande sèche, trois sacs de pain, — ils en étaient déjà à leur dernière caisse de biscuit, — et un de mes mulets, j’ordonnai à Mohamet de leur procurer des chameaux et des chargeurs, je promis aussi au capitaine Martini, qui venait avec moi, qu’à son retour d’Europe, il trouverait à Zeila soixante de mes chameaux que je laissais à sa disposition. Ces messieurs parurent très satisfaits de nos arrangemens.

« Dimanche 30. C’est aujourd’hui le jour de la séparation ; les six Éthiopiens qui me quittaient viennent à moi, me prenant les mains, me priant de les bénir, ils pleuraient comme des enfans. On se fait les derniers adieux, puis chacun se dirige de son côté. Le capitaine Martini est mon compagnon de route, couchant sous ma tente, partageant mes repas. Après deux heures de marche, nous campons à Wolgueli. Le lendemain, partis de bon matin, nous marchons toute la journée et couchons le soir à Sangote. Le Rév. Jacob, missionnaire protestant, que le roi m’a chargé de conduire à Zeila, a failli mourir hier au soir ; je lui envoie de ma nourriture et quelques médicamens qui le soutiennent un peu.

« Mardi 1er août. Je passe sous silence le spectacle révoltant auquel j’assiste tous les jours avec les malheureux esclaves qui accompagnent la caravane. Rien ne saurait donner une idée de la barbarie des trafiquans. Hélas ! je ne puis rien empêcher. Nous devions partir ce matin, mais dans la nuit une jeune fille esclave s’est évadée ; elle a mieux aimé mourir de faim dans le désert que sous les coups de ses bourreaux. Pour me faire prendre patience, ceux-ci prétextent que des chameaux se sont égarés. On n’a pas retrouvé la fugitive.

« Mercredi 2. Nous prenons ce matin la direction nord-nord-est. Sur notre passage nous rencontrâmes des groupes d’Issas tout habillés de neuf en toile blanche et comme endimanchés ; je fis remarquer au capitaine que c’était sa toile qui les habillait si bien, et il en convint de bonne grâce. La facilité avec laquelle ces sauvages avaient pu se fournir d’étoffe auprès des Italiens les