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traverser une forêt redoutée par les petites caravanes. J’ai acheté hier une autruche pour la valeur de 3 francs en toile ; elle suit la colonne. Nous traversons la forêt sans accident. Arrivée à Erer à deux heures de l’après-midi par une température écrasante. Là j’apprends de nouveau que l’expédition italienne approche ; désireux de la prévenir des dangers qu’elle court sur cette route, j’ordonne à Mohamet d’envoyer demain avant le jour un homme à cheval à l’endroit nommé Tull Harré près duquel nous devons camper ; au cas où les Italiens se trouveraient dans ces parages, je leur recommande de m’attendre, mais en un lieu bien pourvu d’eau, à cause des besoins de ma caravane.

« Vendredi 21. Au soleil levant, la colonne s’engage dans la direction de l’est. Après une longue et pénible marche, nous arrivons au torrent d’Edeita Erer et nous campons dans son lit. Nous trouvons là des nids de fourmis blanches qui nous obligent à de grandes précautions. La force de destruction de ces insectes est incroyable ; je les ai vus en quelques minutes percer l’enveloppe des balles de café faite avec des peaux de bœuf tannées.

« Samedi 22. Le courrier que j’ai fait partir hier n’est pas encore revenu ; je suis inquiet du sort des Italiens, comme ils ignorent que je reviens du Choa, nous risquons de nous croiser en chemin. Bien que la station d’Edeita Erer fût des plus dangereuses à cause du voisinage des marais, je résolus d’y rester un jour encore ; j’envoyai un second messager au chef du village de Tull Harré, distant d’ici de quatre heures de marche, et je le priai de se rendre lui-même au campement. Il arriva dans la nuit et vint droit vers ma tente en compagnie de Mohamet ; il savait déjà qui j’étais : tout se sait au désert, mieux encore que dans une grande ville, à deux cents lieues à la ronde tout le monde est informé si l’étranger qui passe est puissant, s’il connaît le pays ou bien s’il manque d’expérience, si l’on peut lui faire payer l’apprentissage de ses voyages. Le chef avait vu les Italiens, je fus vite au courant de leur situation ; séance tenante, j’écrivis une lettre au marquis Antinori, lui donnant rendez-vous pour le lendemain au campement de Tull Harré. Les deux nuits passées dans le ravin d’Edeita Erer ont été particulièrement désagréables ; pour ma part, j’ai le corps et la figure tout enflés de la piqûre des insectes.

« Dimanche 23. Sortant des broussailles du torrent, nous nous trouvons dans l’immense plaine des Issas. Les chameaux s’avançaient massés en bataillon carré, puis les chevaux, tout harnachés, un peu refaits par un repos de deux jours et redevenus fringans ; notre colonne.avait ainsi fort bon air. Les Italiens nous avaient précédés au rendez-vous ; ils paraissaient tristes et découragés, ils