Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une des choses les plus consolantes qu’il y ait en ce monde, c’est que le bien a sa contagion comme le mal, que le cœur prend l’habitude des sentimens élevés comme des sentimens bas, et l’intelligence l’habitude des pensées vertueuses comme des pensées perverses. Toute bonne action pousse à récidive, et c’est ainsi que notre ami de Mazade, après avoir fait œuvre de justice en faveur des Italiens, se trouva tout préparé à reprendre ce même rôle de défenseur de l’humanité et du bon droit en faveur d’un autre peuple plus opprimé encore que le peuple italien ne l’avait été et réservé à moins de bonheur. On se rappelle ce soulèvement de la Pologne de 1861-62, qui parut si formidable à la Russie que pour le réprimer elle ne craignit pas d’avoir recours aux plus cruels moyens, et qui fit luire aux yeux de l’Europe l’espoir du relèvement de cette héroïque nation. Un instant même on eut l’illusion que les événemens forceraient certaines puissances à intervenir et qu’une guerre réparatrice pourrait s’ensuivre. Malheureusement pour nous, cette occurrence ne se présenta pas, et il se trouva que la facétieuse sagacité de lord Palmerston avait touché juste lorsqu’elle lui avait fait exprimer la crainte que ce ne fût l’allumette du Holstein plutôt que la torche de la Pologne qui mît le feu à l’Europe. M. de Mazade fut de ceux qui voulurent espérer contre toute espérance et qui prirent spontanément la défense de ce mouvement. Il se mit en campagne comme un véritable volontaire de la Pologne, et tant que durèrent les événemens combattit de sa plume avec une confiance au bon droit où se révélait un cœur resté jeune pour toutes les nobles choses. Si les suggestions amicales de notre éminent collaborateur Julian Klaczko, que M. de Mazade voyait beaucoup alors, ou celles d’une aimable influence aujourd’hui disparue, eurent une certaine action sur son esprit à cet égard, nous ne le savons pas, mais nous croyons qu’il fut peu nécessaire de le presser pour le décider à cette campagne de justice et de pitié. M. de Mazade fut moins heureux avec cette cause qu’avec la précédente ; il n’eut cependant pas à regretter de l’avoir soutenue, car elle fournit à son talent élevé l’occasion de révéler un accent nouveau. Jamais il n’a été mieux inspiré que dans les récits réunis sous le titre de : la Pologne contemporaine. Soit qu’il décrive l’origine et le cours de ce mouvement si religieusement poétique à ses débuts, si lugubre à son dénoûment, soit qu’interrogeant un siècle d’histoire il montre les copartageans embarrassés de leur proie au point de parler à mainte reprise de lui laisser vie, ou l’Europe tellement déconcertée devant l’énormité de l’acte commis que, toute forcée qu’elle soit d’accepter le fait accompli, elle se refuse à le regarder comme définitif et ne cesse de faire réserves et stipulations, soit qu’il raconte les aventures de la triple émigration