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chapitres qui suivent font mince figure. Ce qui nous paraît beaucoup plutôt une parenthèse véritable, c’est cette période de bienfaisante torpeur pendant laquelle le génie propre à l’Espagne s’endormit enfin de lassitude après l’avènement de la maison de Bourbon pour ne se réveiller qu’avec l’injuste entreprise de Napoléon. Retiré brusquement de son repos, cet individualisme espagnol qui sommeillait inoffensivement depuis un siècle reparut alors tel qu’on l’avait connu autrefois. Sublime au réveil, il ne s’est plus rendormi depuis, mais il n’a plus trouvé d’aussi nobles carrières à parcourir, et s’il a montré qu’il était toujours assez patriotique pour protéger contre l’extérieur la nationalité, il n’a pas montré avec moins d’évidence qu’il était assez égoïste pour refuser toute stabilité à la société espagnole.

La nécessité de classer selon leur nature les matières si diverses dont s’est occupé notre collaborateur nous a obligé et nous obligera encore à ne pas tenir trop rigoureusement compte des dates de ces différentes publications ; revenons à une époque très antérieure à celle de ces études sur la révolution espagnole, c’est-à-dire au lendemain du coup d’état de décembre. Ce changement soudain de régime fournit à M. de Mazade l’occasion de rendre à la Revue un important service qui a marqué dans sa carrière, car il le transforma en publiciste de critique littéraire qu’il avait été presque exclusivement jusqu’alors. À ce moment-là, notre chronique politique était rédigée par M. Alexandre Thomas, dont les plus âgés de nos lecteurs n’ont certainement pas perdu le souvenir, homme de grand et sûr savoir, d’un libéralisme d’une netteté et d’une précision singulières, intelligence altière qui portait dans la défense des idées strictement constitutionnelles la ténacité ardente qu’on n’a coutume de chercher que dans les opinions extrêmes. Un tel homme, qui se rapprochait beaucoup plus du sage stoïque selon Horace, — impavidum ferient, — que du sage ondoyant et divers selon Montaigne, devait manquer du degré de souplesse optimiste nécessaire pour prendre patience en face des événemens. Personne en effet ne les ressentit avec une plus violente irritation, car il aima mieux s’expatrier que les subir. Je le vois encore à ce lendemain du coup d’état, descendant d’un pas fiévreux l’escalier de la Revue, rassemblant en toute hâte les honoraires accumulés de son travail, et bouclant pour ainsi dire ses malles afin de partir au plus vite pour cet exil volontaire où il allait, en compagnie du comte d’Haussonville, rédiger contre la politique présidentielle une publication périodique, le Bulletin de l’étranger, bientôt arrêtée par la mort prématurée de l’écrivain, Cette fuite soudaine laissait la chronique sans occupant, et il n’était pas facile de pourvoir à ce moment au