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instinctive du méridional qui s’est plus d’une fois fait jour dans notre histoire littéraire, et qui, au moyen âge par exemple, rapprocha les races voisines au point de ne permettre qu’une même littérature aux Languedociens et aux Catalans. Le résultat de ces premières années d’études nous est présenté par le volume intitulé l’Espagne contemporaine, série d’esquisses séparées, mais issues d’une pensée commune qui leur sert de lien assez étroit pour en faire les divers chapitres d’un tableau général de l’âme espagnole dans notre siècle. La lecture n’en est pas seulement des plus instructives, elle en est des plus attachantes et des plus agréables. Un souffle contenu de jeunesse circule doucement dans ces pages et en tempère la gravité ; on sent que, lorsqu’il les écrivit, l’auteur était voisin des années heureuses. Un sentiment catholique plus vif qu’on ne le rencontre dans ses écrits postérieurs s’y fait aussi remarquer, et ce sentiment n’est pas commandé par la seule nature du sujet, il fixe une époque où le méridional, plus proche des influences de l’éducation, restait en lui plus entier et n’avait pas encore été entamé par les courans du siècle et la longue vie parisienne. Ce livre, dont les matières sont classées avec art, s’ouvre par un récit de voyage, court et substantiel résumé des impressions de l’auteur, sans fantaisie pittoresque, mais riche en observations précises où sont exposées les lacunes politiques, sociales, morales qui laisseront l’Espagne en proie à l’agitation jusqu’à ce qu’elles soient comblées, et se termine par une peinture brillante de la persistance des mœurs populaires et de la résistance inconsciente qu’elles opposent à l’esprit de révolution ; entre ces deux pôles ennemis de l’état moral de la péninsule se présentent les personnalités les plus éminentes de l’Espagne à l’heure où écrivait notre ami, politiques, philosophes, poètes, publicistes, Narvaez, don Jaime Balmès, Donoso Cortès, le duc de Rivas, Breton de Los Herreros, Espronceda, José de Larra. Il manque bien un ou deux noms célèbres pour que la galerie soit au complet, et nous regrettons en particulier de n’y pas voir figurer celui de don José Zorilla, mais, hélas ! c’est un des inconvéniens de notre vie d’essayistes que, sans cesse sollicités par la diversité des sujets, il nous est rarement possible d’épuiser sans nous détourner une même matière.

Rien d’ébauché ni d’incomplet dans cette galerie, ce sont tous portraits achevés, peints sans hâte d’un pinceau qui sait appuyer, et par ces mots nous définissons exactement la manière propre à l’auteur dans ce genre difficile du portrait littéraire. Il y en a là de presque classiques par la sévérité des lignes, comme celui du duc de Valence, de froids et d’austères, comme celui de Balmès, de noblement mélancoliques et de tout à fait aimables, comme celui du duc