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l’ovale des montagnes. On dépasse l’inscription gravée sur le rocher par Lucius Cassius Longinus ; inutile de la reproduire, puisque de temps immémorial elle fait la joie des voyageurs frottés d’épigraphie qui suivent cette route. Un peu plus loin, le Castro lis Oraias, nid d’aigle génois, profile ses pans de murs ruinés sur une crête inaccessible et rappelle notre donjon de Crussol dans la vallée du Rhône.

Le Château de la Belle ! Je me promets de demander sa légende à l’étape de ce soir. Enfin la gorge s’évase, les montagnes s’écartent, et nous tournons à gauche pour gravir les pentes de l’Ossa, où la petite ville d’Ambélakia nous promet un bon gîte. Je quitte, non sans regrets, la souriante vallée de Tempe, qui fuit si harmonieusement à l’ombre sévère des grands monts, comme un doux vers d’André Chénier dans son fier moule de marbre antique !

Ambélakia doit son nom aux vignobles qui l’entourent. C’est un bourg de trois cents maisons, blanches et coquettes, avec un air d’aisance relative. La population accorte et avenante qui se presse sur mon passage ne rappelle en rien celle des districts de l’Olympe. Tous les habitans, sans exception, sont dépure race grecque ; ils en ont le type marqué et en portent le costume avec une certaine recherche. Le fez lui-même, la coiffure obligatoire qui égalise toutes les têtes dans l’empire turc, a disparu ici devant le bonnet des Hellènes libres ; il n’y a qu’un fez dans le village, celui du soldat albanais, qui représente seul la Porte-Ottomane. N’était cet homme et le percepteur qui monte deux fois par an, on pourrait se croire hors de l’empire. Le langage et les mœurs des habitans sont faits pour entretenir cette illusion. Les voici qui reviennent du travail des champs, et ils s’assemblent jusqu’au dernier autour de l’étranger, comme de vrais Athéniens du vieux temps ; non plus défians, scrutateurs et sauvages, ainsi que les gens de Lithochôri, mais hospitaliers, loquaces et confians. Tout d’abord, et en dépit de ma fatigue, on m’entraîne voir l’école, la merveille de l’endroit. Partout mes hôtes grecs m’ont proposé avant toute chose d’aller voir l’école du village : c’est leur fierté aujourd’hui, ce sera leur force demain. On se ferait difficilement idée des sacrifices que s’impose la plus pauvre bourgade grecque pour se donner une maison scolaire et y rassembler les moyens de satisfaire, dans la mesure du possible, la curiosité intellectuelle qui est l’honneur de cette race. Dans les villes de quelque importance, les choses sont plus faciles, grâce à la générosité des particuliers. Voici comment elles se passent d’ordinaire. Un enfant du pays fait fortune au loin, dans les comptoirs du Levant, dans les grandes maisons de l’étranger, à Odessa, à Marseille, à Londres. Il peut passer dix ans, vingt ans, finir sa vie même sans remettre le pied sur le sol natal, son âme ne s’expatrie