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conditions. Autres traits que je n’ai jamais rencontrés dans les villages de Roumélie ou de Thrace : chacun s’y dispute le plaisir de loger le voyageur, et l’hôte qui a cette bonne fortune le poursuit de prévenances et de causeries importunes parfois, mais toujours gracieuses. Allons, je n’emporterai qu’un médiocre souvenir du sauvage Lithochôri, où je m’endors sur une natte de skouni, au fracas du vent qui s’échappe de la gorge de l’Olympe, à la lueur de la lampe brûlant, si près de la demeure de Jupin, au-dessous de l’icône orthodoxe. Si l’on pouvait descendre dans la conscience obscure de mes hôtes, on n’y trouverait pas, je gage, de différence sensible entre la conception qu’ils se font du dieu nouveau et celle que leurs aïeux se faisaient du dieu ancien.

On redescend de Lithochôri sur les pentes méridionales, crevassées de ravines profondes et de torrens à sec. Jusqu’à la côte, le pays est nu et inculte, les chevaux avancent avec peine dans les fourrés épineux de paliurus et d’acacias. Nous passons à Platamona, forteresse turco-vénitienne, pittoresquement juchée au sommet d’une roche à pic sur la mer. De là la route, — ce mot n’a bien entendu qu’un sens tout idéal, — s’abaisse sur les dernières croupes que la montagne projette vers le sud, dans la riche vallée qui s’évase en demi-cercle entre l’Olympe et l’Ossa, à l’embouchure du Salamvrias, l’antique Pénée. Nous gagnons les bords du fleuve classique à travers les belles cultures de maïs de Réchid-Pacha, sous les ombrages des platanes, des bouleaux et des chênes, qui sont doublement les bienvenus, après une traite sur les flancs de la montagne par un midi d’août. Nous ne sommes pas au bout de nos enchantemens : par miracle, ce fleuve a de l’eau ! Seul entre ses frères de Grèce, il roule autre chose que des fleurs de laurier-rose, une belle eau profonde, qui pourrait tenter des barques. Un magnifique pont turc, de la grande époque de Sélim, à courbe très adoucie, supporté par des arches en tiers-point, nous invite à traverser : invitation fallacieuse, car il va sans dire que l’une des arches est écroulée au fil de l’eau depuis des années déjà lointaines. On traverse un peu plus haut sur un bac, et le pittoresque n’y perd rien ; hommes et chevaux s’entassent sur la lourde machine, sous un. berceau de sycomores, et atterrissent sur l’autre rive, devant un corps de garde albanais, qui veille à l’étroite issue de la vallée de Tempe.


Tempe, Ambélakia.

J’approche de la vallée sacrée avec l’émotion classique qui lui est due, mais aussi, l’avouerai-je, avec une défiance enracinée par de