Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mi-janvier. C’est une trêve sans doute, c’est un répit de deux ou trois semaines, mais ce n’est qu’un répit. D’un côté on ne peut se dissimuler que l’état de l’Italie ne reste assez grave. Des incidens tout récens qui se sont produits à Naples, à Pise, après tous ceux qui se sont succédé depuis quelque temps, révèlent une fermentation sourde et continue qui impose désormais à tout gouvernement une politique aussi ferme que prudente. Le moment est peut-être venu d’agir avec une prévoyante décision si on ne veut pas laisser se développer des agitations incessantes, fatigantes, d’où naîtrait bientôt forcément quelque réaction. D’un autre côté, le ministère qui vient de naître est-il constitué de façon à suffire à cette tâche épineuse ? Eût-il même la meilleure volonté, trouvera-t-il un appui suffisant à la rentrée prochaine du parlement ? Ne se rencontrera-t-il pas en face d’une de ces coalitions qui ont déjà renversé trois ministères, à commencer par celui de M. Depretis, depuis que la chambre actuelle existe ? C’est une éventualité qui n’a rien d’invraisemblable, et alors, comme il y a quelques jours avec le cabinet Cairoli, la nécessité d’une dissolution se présenterait de nouveau à titre de remède extrême. Or c’est là une question des plus sérieuses devant laquelle hésitent les esprits les plus réfléchis, à Rome, précisément, parce que personne, à l’heure qu’il est, ne peut distinguer ce que produirait cette dissolution. Si elle ramène la même chambre ou une chambre à peu près semblable à celle qui existe aujourd’hui, la difficulté ne change pas, la situation parlementaire, au lendemain du scrutin ; reste avec ses incohérences et ses impossibilités. Si les élections ont une couleur plus accentuée, plus prononcée dans un sens radical, alors on a couru au péril contre lequel on sent le besoin de se prémunir ; on a joué le jeu le plus redoutable. Si l’opinion, impatiente et troublée, se laisse aller à une certaine réaction, c’est peut-être encore un danger, non pas que le retour au pouvoir des conservateurs libéraux qui ont si longtemps gouverné l’Italie soit une perspective à redouter, mais parce qu’on ne sait pas où s’arrêterait un mouvement d’opinion qui deviendrait décidément réactionnaire. Les chefs du libéralisme modéré agissent visiblement avec une grande circonspection ; ils laissent s’accomplir jusqu’au bout l’expérience du gouvernement de la gauche, et, par la prudence de leur attitude, ils restent en mesure de reprendre utilement à l’heure favorable la direction des affaires.

Ce qu’il y a de plus grave et de caractéristique, c’est que ces incohérences parlementaires mêlées de beaucoup d’antagonismes personnels, ces efforts impuissans pour former des ministères ou pour les faire vivre ne sont que le déguisement trompeur d’un mal plus profond qui est peut-être la vraie et unique cause des sourdes agitations de l’Italie, qui est de nature à favoriser les propagandes révolutionnaires. Le mal est tout économique, c’est la misère des populations, et depuis quelque temps déjà les esprits les plus sérieux se tournent