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auberge plutôt qu’à une église et communauté chrétienne. » Quelques semaines après, elle revient à « ce bassin à rincer les verres, » et dit que cela l’a tant fâchée que plus jamais elle n’a voulu communier à l’église française de Mannheim. Le catéchisme de Heidelberg et surtout la quatre-vingtième question de ce catéchisme ne lui conviennent pas davantage. La religion de Madame est, comme le fait remarquer M. Rolland dans son introduction, fortement entachée de rationalisme, c’est-à-dire qu’elle se préoccupe moins de la pureté de la doctrine que de mener une vie vertueuse. Sans doute des exercices de piété trop fréquens et trop longs l’ont dès sa jeunesse plus ou moins fatiguée. L’orthodoxie luthérienne et calviniste à cette époque s’est comme figée en un formalisme inerte, tellement qu’au moment même où Madame partait pour la France il se produisit en Allemagne ce que depuis on a appelé un « réveil. » C’est en 1670 en effet que Philippe-Jacques Spener ouvrit à Francfort-sur-le-Mein ses collegia pietatis, qui furent le berceau du piétisme. De plus, le spectacle des petites cours allemandes, de la vie qu’on y mène malgré les pratiques religieuses les plus minutieuses, a bien pu contribuer à donner à Madame cette teinte de rationalisme. N’oublions pas qu’elle est la propre cousine de l’électeur Georges de Hanovre, plus tard roi d’Angleterre, qui fait assassiner le comte de Kœnigsmark et cloîtrer sa femme Sophie Dorothée dans le château d’Ahlden pour le reste de sa vie. Versailles aussi a dû largement contribuer à la maintenir dans ces idées ; aussi n’aime-t-elle pas à aller au prône, comme dans sa jeunesse sans doute elle ne tenait guère à aller au prêche : « Je n’aime pas du tout à entendre prêcher. J’en ai bien vite assez ; en effet l’on ne vous dit rien que l’on ne sache depuis longtemps, et je m’endors de suite. Mon Dieu, chère Louise, vous me dites que l’on ne saurait se lasser d’entendre ces deux ministres (MM. Lenfant et de Beausobre, pasteurs de l’église française de Berlin) ; mais je dois avouer à ma honte que je ne trouve rien de plus ennuyeux que d’entendre prêcher, je m’endors de suite ; un sermon pour me faire dormir, c’est plus sût que l’opium ! » — « Il m’est impossible, écrit-elle à sa tante de Hanovre, d’entendre une grand’messe. J’en ai sitôt fait avec mes dévotions, car j’ai un chapelain qui expédie la messe en un quart d’heure, ce qui fait bien mon affaire. » Voilà pour son catholicisme. Mais il lui est resté de sa jeunesse l’habitude de lire tant et tant de chapitres de la Bible par semaine ; à l’en entendre parler, on voit bien, il est vrai, qu’il y a là quelque chose de mécanique, et il lui arrive d’avouer avec son sans-gêne ordinaire que « le prophète Isaïe l’a endormie. » Il y avait en outre dans cette lecture si singulière de la Bible une espèce de protestation contre sa conversion forcée et un peu de taquinerie à l’endroit de son confesseur.