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elle-même, si elle eût eu à se plaindre de sa belle-mère, ne se serait jamais intéressée, comme elle le fait, aux raugraves ses demi-frères et sœurs ; au lieu de faire de l’une de ses sœurs sa correspondante ordinaire pendant les trente dernières années de sa vie et de pleurer amèrement l’un de ses frères, elle les aurait ignorés, à moins qu’elle ne les eût haïs comme elle savait haïr. Car elle a été à bonne école, et après cinquante ans elle raconte encore avec le plus grand plaisir les libertés singulières que Mme de Landrasz prenait avec l’oraison dominicale. « Lorsque Mlle Kolb, la suivante, était indisposée, Mme de Landrasz la remplaçait dans mon appartement. Matin et soir, en récitant les prières, lorsque dans le « notre Père » elle arrivait à « pardonne-nous nos offenses, » a elle omettait la suite : « comme nous pardonnons : à ceux qui nous ont offensés. » « Cela m’a fait rire bien souvent, » ajoute la princesse, et au ton dont elle dit cela l’on sent qu’elle était parfaitement d’accord avec la bonne dame. M. de Landrasz, comme on voit, n’avait pas seulement les meilleures cerises de tout Heidelberg, il avait aussi une femme bien vindicative ou, si l’on admet que le pardon des offenses pratiqué sincèrement n’est le fait que d’un petit nombre d’âmes d’élite, une femme bien franche au moins pour avouer ainsi devant la fille de son maître qu’elle fait fi d’un des préceptes essentiels de la morale chrétienne.

Madame a d’ailleurs de tout temps pris certaines libertés à l’égard des choses de la religion ou plutôt montré la plus grande franchise sous ce rapport, comme sous tous les autres. Convertie au catholicisme lors de son mariage, elle n’en reste pas moins protestante du fond du cœur. Elle continue à lire la Bible allemande, à réciter des cantiques luthériens. En aucun endroit de ses lettres, elle ne parle de la vierge Marie, nulle part on ne la voit, même de loin, avoir recours à l’intercession des saints : elle semble au contraire la blâmer. « La comtesse Wieser est sans doutes une de ces sottes catholiques d’Allemagne qui ne connaissent que les saints, mais non pas notre seigneur Dieu, » dit-elle. Elle semble douter fort aussi de l’efficacité des pèlerinages, et la margrave de Bade est vertement blâmée de mener son fils à Notre-Dame-de-Lorette, au lieu de lui faire apprendre sa grammaire et de le faire voyager. Quant à elle, l’on ne saurait certes pas la prendre pour une « de ces sottes catholiques, » car voici sa profession de foi, toute protestante dans le fond aussi bien que dans la forme : « Mettre toute sa confiance en Dieu, voilà ce qui, en toute circonstance, vous est d’un grand réconfort. La sagesse de Dieu est infinie comme le Tout-Puissant lui-même ; lui seul par conséquent connaît la cause de tout ce qui nous arrive. Nous devons suivre la raison qu’il nous a donnée, pour le reste le laisser faire et nous soumettre à sa volonté,