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un bon souvenir ; elle parle souvent d’elle, elle vante sa beauté, sa fidélité. Elle a eu l’affection la plus tendre pour un de ses demi-frères, Charles-Louis, l’aîné des raugraves, mort au service de la république de Venise en 1688, au siège de Nègrepont. « Je l’ai aimé, dit-elle, comme s’il eût été mon propre enfant, et je ne peux penser à lui sans avoir les yeux pleins de larmes et le cœur tout gros. » Elle n’était donc pas brouillée avec sa belle-mère, tout au contraire, elle lui est dévouée et l’aime. « J’ai rendu en ce temps-là un grand service à votre mère, écrit-elle à la raugrave Louise, sa demi-sœur (14 août 1718). Alors qu’elle était enceinte de Charles-Maurice, sa grâce mon père, voulant (au lit) lui donner une lettre qu’elle devait me remettre le lendemain, l’atteignit, par un mouvement trop brusque, à l’œil, qui enfla et le lendemain se trouva être noir et bleu. La voyant ainsi défigurée, je m’effrayai et lui dis : « Seigneur Jésus ! madame (c’est ainsi que je l’appelais, par ordre), quel œil vous avez là ! » Pour son bonheur, elle me conta comment la chose lui était venue. Quand Charles-Maurice vint au monde, il avait un œil comme hors de l’orbite. Vous savez, chère Louise, que l’électeur, notre père, était horriblement jaloux ; il s’imagina que madame votre mère avait trop souvent regardé le colonel Webenheim, qui n’avait qu’un œil et qui mainte fois venait jouer avec nous, et que c’était pour cela que Charles-Maurice avait l’œil noir comme le bandeau du colonel. Il me fit appeler incontinent, dès que l’enfant fut au monde, et me dit : « Liselotte, voyez cet œil ! n’est-il pas noir comme le bandeau de votre ami le colonel Webenheim ? » Je me mis à rire et lui dis : « Eh non, Votre grâce, je vois bien ce que cela est. » L’électeur tout fâché s’écrie : « Par le sacrement ! qu’est-ce donc ? — C’est quelque chose que votre grâce n’a pas vu. Vous souvenez-vous que lors du voyage d’Oppenheim, la nuit, en voulant remettre à madame une lettre pour moi, vous lui avez donné un coup sur l’œil ? Le lendemain il était noir, tel que vous voyez maintenant l’œil de l’enfant. — Mon Dieu, dit l’électeur, que je suis donc soulagé de ce que vous vous souveniez de cela ! Pour l’amour de Dieu, n’en dites rien à madame. »

Si le père d’Elisabeth-Charlotte soupçonnait si facilement la femme de son choix, l’épouse de son cœur, il a dû rendre la vie bien dure à sa première femme, la mère de la Palatine. En tout cas, la conduite de Mlle de Degenfeld a été, — on ne saurait en douter, — pleine de tact vis-à-vis de la princesse à laquelle elle succédait et dont elle avait été d’abord la demoiselle d’honneur. Nous voyons en effet (lettre du 11 septembre 1718) que l’électrice séparée, née landgrave de Cassel, recommande l’un des enfans issus du second mariage de l’électeur à la cour même de Cassel, et la Palatine