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le romaniste de Tubingue, l’éditeur et commentateur d’Uhland. Le quatrième volume vient de paraître ; le cinquième et sans doute dernier est annoncé comme devant être imprimé sous peu. On voit que depuis le mois d’octobre 1853, où Sainte-Beuve donnait ses articles sur la princesse palatine, les matériaux se sont accumulés, et sur plus d’un point nous aurons à compléter, à rectifier aussi l’esquisse du grand critique.

Heidelberg, le lieu de sa naissance, joue un grand rôle dans ces lettres, dans celles surtout qu’Elisabeth-Charlotte écrivit sur la fin de sa vie. A mesure qu’elle vieillit, que le vide se fait autour d’elle, que l’image du grand roi s’efface, elle se reporte de préférence aux jours de son enfance, au château de ses ancêtres, à son pays natal. C’est ainsi que le 16 novembre 1719, alors qu’un demi-siècle s’est écoulé depuis son départ du Palatinat, elle écrit à sa demi-sœur, la raugrave Louise, que toute seule elle retrouverait son chemin de Schwetzingen à Heidelberg ; elle se souvient des localités qu’on traverse, des maisons, celle du bourreau entre autres, devant lesquelles on passe. Il y a dans Heidelberg un endroit dont surtout elle garde le plus agréable souvenir, c’est le jardin de M. de Landrasz, situé en contre-bas de la ménagerie du château. « J’y allais bien souvent, à quatre heures du matin, manger des cerises ; j’en mangeais à ne plus pouvoir me tenir debout, car les cerises de M. de Landrasz sont de beaucoup les meilleures de tout Heidelberg. » Elle n’a pas davantage oublié les fraises de la forêt de Ketsch et les myrtilles de la montagne de Heidelberg même.

En général, les souvenirs de jeunesse de Madame, si vifs et si tenaces, ont presque toujours un côté matériel, et c’est en racontant (lettres de 1719) comment un jour son père voulut la contraindre à boire du bouillon qu’elle emploie un vocabulaire qui, là plus qu’ailleurs encore dans de nombreux passages de ses lettres, rend le métier de traducteur bien épineux. Mais avant tout ils sont pour nous la preuve que son séjour à Hanovre, auprès de sa tante l’électrice Sophie, a été relativement court. Elle y a passé cinq années en tout, de sept ans à douze.

Madame avait été éloignée de Heidelberg au moment où son père se séparait de sa première femme pour épouser morganatiquement Mlle de Degenfeld. « La paix domestique ne régnait pas au foyer de l’électeur palatin, dit Sainte-Beuve ; il avait une maîtresse qu’il épousa de la main gauche ; la mère d’Élisabeth-Charlotte est accusée d’avoir eu un caractère acariâtre qui amena la séparation. » Cette séparation a dû se faire à l’amiable. La Palatine parle peu de sa mère : « Elle avait tellement en horreur les gens roux que jamais elle ne s’en serait laissé approcher et toucher. » Mais la conduite de Mlle de Degenfeld a dû être irréprochable. La Palatine en a gardé