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chants assez compliqués. Si, après être sortis de l’asile, garçons et fillettes étaient encore exercés chaque jour, pendant quelques instans, à la classe, on arriverait, nous n’en doutons pas, à cultiver leur mémoire et leurs aptitudes musicales. Mais tout cesse brusquement avec l’entrée à l’école, et quant aux élèves de nos lycées, l’emploi de leur temps est si rempli et si disputé que la musique peut à peine en obtenir quelques momens. Chez nos voisins au contraire, elle continue d’avoir sa place marquée dans l’éducation scolaire. Qui s’attendrait par exemple à trouver au fond du duché de Saxe-Meiningen, à Salzungen, dans une petite ville qui ne compte pas quatre mille âmes, une maîtrise composée de jeunes enfans dont l’instruction musicale est si complète qu’ils arrivent à chanter avec une rare perfection des œuvres chorales de Bach, de Scarlatti, de Mendelssohn ? En regard de cette lueur de poésie qui s’allume et brille ainsi jusque dans les plus humbles demeures et les moindres bourgades de l’Allemagne, quelle part chez nous le travail et le continuel souci des intérêts matériels laissent-ils aux manifestations de l’art dans la vie de nos campagnes ? Il importe que nous profitions de ces enseignemens et que nos enfans, eux aussi, reçoivent par la musique un complément de culture qui, en se développant, permettrait d’associer la nation tout entière à de pures et nobles jouissances.

Il y a donc là un progrès à faire et, avec ceux dont nous avons déjà proposé la réalisation, il nous a paru que nous devions le signaler. Est-il besoin de le dire d’ailleurs, c’est la France surtout que nous avions en vue dans cette courte étude sur les ressources musicales dont dispose l’Allemagne. Les comparaisons que devait provoquer un pareil examen naissaient en quelque sorte d’elles-mêmes, et bien souvent des traits défectueux que nous n’aurions pas songé à relever chez nous ont frappé plus vivement notre esprit dès que nous avons eu franchi la frontière. Ces imperfections, nous n’avons pas hésité à les confesser ici. De même que l’Allemagne met tous ses efforts à se relever de l’infériorité où elle est vis-à-vis de nous, pour ce qui touche aux arts du dessin et à leurs, applications, nous devons de notre côté chercher à l’égaler sous le rapport musical. Grâce à Dieu, la disproportion nous semble moindre. Fût-elle plus grande, nous ne croyons pas qu’il fallût nous y résigner et nous retirer de la lutte. Les plus sûres conquêtes sont encore celles que l’on fait sur soi-même : elles ne causent point de larmes et n’amassent point de haines. C’est de celles-là que nous sommes jaloux pour la France. Nous savons trop ce que coûtent les autres et ce qu’elles valent pour les souhaiter jamais à notre pays.


EMILE MICHEL.