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non-seulement ont apporté à la France les créations auxquelles ils tenaient le plus, mais sont même venus, ou s’y fixer momentanément, ou y vivre tout à fait. Sans remonter bien haut, la liste en serait longue, et les noms de Grétry, de Cherubini, de Spontini, de Meyerbeer et de Rossini se presseraient sous notre plume. Aujourd’hui encore, tandis que nos opéras, nos opéras-comiques et même nos opérettes sont représentés sur la plupart des scènes de l’Allemagne, nous ne trouverions de notre côté que peu d’emprunts à faire à ses compositeurs vivans. Il en serait tout autrement s’il s’agissait de son répertoire classique, et sur ce point elle nous fournit des exemples dont nous aurions fort à profiter. Nous avons montré quelle était, pour ses principales scènes, la richesse et la variété de ce répertoire, tandis que notre grand Opéra vit pendant toute une année sur cinq ou six œuvres dont la présence sur l’affiche se perpétue à satiété, avec une déplorable monotonie.

A tout prendre d’ailleurs, l’exécution musicale dans son ensemble nous paraît généralement supérieure en Allemagne. On s’y attache de plus près à rendre avec leur esprit et le style qui leur est propre les créations des maîtres ; on sacrifie moins à cette manie de l’effet partout et à outrance qui, de notre temps, envahit peu à peu tous les arts. L’orchestre de notre Opéra, il est vrai, est excellent ; mais, malgré des progrès notables, l’infériorité de ses chœurs est encore trop réelle. Quant aux solistes, outre la nécessité pour eux de remplir un vaisseau aussi vaste, ils ont une tendance de plus en plus manifeste, encouragée du reste par l’auditoire, à forcer les nuances. Ce respect intelligent des œuvres dont l’interprétation leur est confiée, cette modération et cette savante gradation d’effets, qui font les vrais artistes, sont trop souvent remplacés chez nous par un besoin impérieux de briller et d’attirer sur soi l’attention. Trop souvent encore, le volume de la voix importe plus que sa qualité, et avec un tel régime peu d’années suffisent à détruire les talens qui promettaient le plus et à tuer les organes les mieux timbrés et les plus résistans.

En Allemagne, nous l’avons dit, le théâtre n’est ni une fatigue, ni une dépense ; il a ses habitués ; il leur offre un délassement, un plaisir délicat et accessible aux petites bourses. Chez nous, à l’Opéra, la plus nombreuse partie de l’auditoire se compose d’un personnel flottant de provinciaux et d’étrangers pour lesquels l’exhibition du monument, l’aspect de la salle et le fameux escalier sont la principale affaire. Quant aux abonnés, la mode, le désœuvrement ou les charmes du ballet les attirent, à certains jours consacrés, bien plus que le goût de la musique elle-même. Dans l’état actuel des choses, le nom d’Académie nationale de musique ressemble plus à une satire qu’à une désignation. Ce sont en effet les arts du