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Jamais la moindre incertitude dans l’attaque ; jamais le moindre écart. La sûreté des intonations est égale à la précision du rythme, et les mouvemens les plus rapides sont abordés et soutenus avec un talent et un sens musical qui confondent l’imagination.

Nous ne saurions oublier, pour notre part, l’impression profonde qui nous attendait à Cologne, à ce festival de 1865 dans lequel l’Israël en Égypte de Händel nous apportait comme la révélation d’un art que nous n’avions pas soupçonné. Dès les premières mesures on subissait la domination du maître dont le souffle puissant anime et remplit toute cette grande épopée. Tirant ses moyens d’action du texte même qu’il a choisi, Händel a su trouver des accens tour à tour mélancoliques et douloureux pour peindre la captivité des Juifs ; élevés ou touchans pour nous dire leurs prières ; terribles quand il s’agit de nous montrer la désolation de l’Égypte ou la destruction des armées de Pharaon ; doux et tendres enfin, lorsqu’il a voulu chanter la bonté paternelle de Dieu pour son peuple. On songe à peine que certaines cadences du compositeur ont vieilli, qu’il se complaît un peu trop aux récitatifs et qu’il y a quelque monotonie dans la terminaison de ses phrases, tant on est entraîné par son irrésistible force ! Quelle variété dans les motifs ! quelle richesse inépuisable de combinaisons dans les rythmes et les timbres ! Quel ordre, quelle ampleur et quelle clarté jusque dans les fugues austères d’un dessin si large et si net, d’un enchaînement si rigoureux, d’un développement si naturel et qui, après avoir successivement ébranlé les diverses masses des instrumens et des voix, les rassemblent et les pressent d’un mouvement croissant pour aboutir enfin à l’expansion majestueuse et libre de la pensée exprimée dans toute sa plénitude et sa beauté ! C’est en de tels momens qu’on voit éclater toute la puissance d’un art qui traverse ainsi les foules pour les associer, subjuguées et émues, aux créations et à la vie supérieure du génie !


IV

Ce simple exposé suffit, croyons-nous, pour accuser des différences assez profondes entre nos voisins et nous-mêmes relativement à la situation de l’art musical. Nous ne voulons plus que brièvement montrer en quoi il nous serait bon et souvent facile de les imiter.

Pour la production contemporaine de la musique dramatique nous n’avons jusqu’ici rien à leur envier. C’est vers le théâtre que se sont presque toujours tournés les compositeurs français, et quant aux compositeurs étrangers, plusieurs, parmi les plus grands,