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Alors commencèrent dans la presse, dans les revues, dans les brochures, ce qu’on peut appeler les représailles de l’ennui. Le moment était venu de s’affranchir des exigences de l’insatiable réformateur, de lui dire ses vérités et de mettre à nu un orgueil aussi persistant. L’homme qui ne s’était fait aucun ? scrupule de saper les gloires les mieux établies allait subir à son tour toutes les sévérités qu’il avait si audacieusement provoquées.

Depuis, Wagner a vainement essayé de se relever de cet échec ; mais les représentations de Bayreuth n’ont plus été renouvelées. En Angleterre, où il a cru pouvoir tenter la fortune, il a complètement échoué. On a monté isolément, il est vrai, plusieurs des œuvres détachées de la tétralogie, et à Weimar, à Rotterdam, à Munich et Leipzig elles ont été accueillies avec sympathie. Mieux avisé, le maître eût encouragé ces exécutions partielles d’un ensemble dont la totalité excède les forces humaines. Mais intraitable comme il l’est, il a pensé que sa dignité ne devait pas se prêtera de pareils accommodemens, et aux avances qui récemment encore lui venaient de Kœnigsberg, où on se proposait de monter la Walkyrie, il a répondu qu’il n’accorderait l’autorisation demandée qu’après le dépôt d’une caution considérable comme garantie de la représentation des trois autres parties de la tétralogie. Il est plus que douteux que de telles prétentions soient désormais satisfaites. On sait trop maintenant que pour les « représentations modèles » il faudrait un public et des exécutans « modèles » : exécutans et public font aujourd’hui défaut.

S’il était bon que l’expérience fût ainsi menée jusqu’au bout afin de dissiper les illusions obstinées, il n’est pas mauvais non plus que, de temps à autre, quelqu’un de ces réformateurs à outrance surgisse pour remettre en question toutes choses. N’y eût-il dans leurs tentatives et leurs théories qu’une étincelle de vérité, on peut compter qu’elle se fera jour. Et puis on connaît plus complètement après eux le prix des œuvres des maîtres ; quelle que fût l’admiration qu’on ressentait pour elles, un musicien comme Wagner nous les fait mieux aimer encore. Mais ce n’est pas là précisément la démonstration qu’il entendait faire.


III

Il s’en faut que le théâtre soit en Allemagne la seule et surtout la plus complète expression de l’art musical. Partout chez nos voisins cet art est présent et, sous toutes les formes, il se mêle à leur vie. Depuis la chanson populaire, le Lied, cette émanation spontanée et le plus souvent anonyme de leur génie lyrique, jusqu’aux compositions les plus élevées de l’art classique, toutes ses