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compositeur y devient le favori du jeune roi de Bavière et donne successivement à Munich Tristan et Iseult et les Maîtres chanteurs. Son dernier grand ouvrage est cette tétralogie des Niebelungen, dont il a écrit à la fois, le poème et la musique, et qui en 1876 a fait à Bayreuth sa retentissante apparition.

Entre temps, Wagner avait publié coup sur coup plusieurs brochures, telles que Opéra et Drame, et d’autres encore dans lesquelles il exposait ses idées. Hâtons-nous de dire que tous ces pamphlets ne sont écrits qu’en vue de sa glorification personnelle et respirent un souverain dédain pour tout ce qui a existé avant lui, Voici, en gros, et aussi fidèlement qu’il est possible de le démêler dans ces diverses publications, le programme de Wagner : « L’opéra tel qu’on l’a compris jusqu’à présent est une erreur. Le rôle de la musique y est excessif. On en a fait l’élément principal aux dépens du drame, qui n’est plus qu’un accessoire. Il importe de rendre à celui-ci toute son importance et de lui donner une puissance d’expression à la fois supérieure et plus conforme à la vérité. En supprimant ces duos interminables, ces ensembles qui arrêtent la marche de l’action et cette répétition oiseuse de paroles qui ne s’accorde ni avec le bon sens ni avec la réalité, on aura enfin créé le drame lyrique et, dans cette création qu’attendait notre temps, tous les arts fondus en un tout homogène se réuniront pour former l’œuvre de l’avenir, » Telle est, dégagée des abstractions ou des formules incompréhensibles qui s’y mêlent, la théorie exposée par Wagner et qui dans les représentations de Bayreuth a trouvé enfin sa complète manifestation.

Nous avions vu à Munich des peintres qui ne peignaient pas, il était naturel qu’il vînt un musicien allemand pour répudier et proscrire la musique. Tannhœuser et Lohengrin en renferment encore trop au gré de leur auteur et, soit dit en passant, pour beaucoup de bons juges c’est ce qui les sauvera de l’oubli : c’est par ces deux ouvrages que Wagner lui-même survivra. Au travers de mille récits d’une longueur jusque-là inusitée, on y rencontre des morceaux de maître : ainsi l’introduction instrumentale de Lohengrin, l’apparition du héros traîné par le cygne et le finale du premier acte ; au second acte, la marche des fiançailles ; l’entracte suivant, le duo du troisième acte, etc., tout cela est de belle et bonne musique, mais de la musique, en somme, qui, avec un certain accent d’originalité, se rapporte cependant à toutes les saines traditions de l’art. Wagner ici a fait un peu comme tout le monde, c’est-à-dire qu’il a construit des morceaux composés de phrases et de périodes, avec retour obligé du dessin mélodique une fois donné.

On ne saurait nier, nous le reconnaissons sans peine, les abus, la routine et la banalité de coupe d’un grand nombre d’opéras italiens