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par exemple la place que tient le théâtre dans les préoccupations du roi de Bavière et les étrangetés qu’il môle à la satisfaction de s’a passion, quand, au fond des retraites les plus sauvages, ou à Munich même, devant une salle brillamment illuminée, mais complètement vide, il fait exécuter pour lui seul ses opéras préférés. Sans tomber dans ces bizarreries, la plupart des princes allemands fréquentent assidûment le théâtre, et, sans aucun apparat, assistent presque chaque soir aux représentations. Entre les diverses cours, il s’établit ainsi une sorte d’émulation qui tourne au profit même de l’art, et, à côté des capitales, des villes de moindre importance, de petites résidences princières, comme Stuttgart, Manheim, Darmstadt, Weimar, Cassel, Carlsruhe, rivalisent d’efforts et de sacrifices, ont chacune leur indépendance, en matière de spectacles bien entendu, et n’attendent le mot d’ordre de personne pour monter les ouvrages importans dont elles désirent avoir la primeur.

Après l’éloge que nous venons de faire du nombre et de l’éclat des grandes scènes que l’on compte en Allemagne, de la richesse de leur répertoire et des qualités d’exécution qu’on trouve sur la plupart d’entre elles, il nous faut, malgré toutes ces ressources et ces causes de supériorité, constater une pénurie à peu près complète dans la production contemporaine de créations lyriques chez nos voisins. A peine, depuis Weber, peut-on citer quelques œuvres allemandes qui soient restées au répertoire. C’est pour Paris que Meyerbeer, tout Berlinois qu’il fût, a réservé ses créations les plus importantes, trouvant chez nous plus de facilités pour satisfaire des exigences qui, il faut bien le reconnaître, ne portaient pas toujours uniquement sur la musique.

Il y avait cependant là une place à conquérir, et le maître qui aurait donné à l’Allemagne un opéra national eût été assuré, en flattant l’amour-propre de ses compatriotes, de rencontrer leurs sympathies. Si glorieux que fût le rôle cependant, personne ne l’appris. Des artistes, à d’autres égards justement célèbres, se sont vainement essayés dans ce genre. Mendelssohn, avec toute sa science des ressources de l’orchestre et de la voix humaine, n’a guère laissé que des chœurs, des fragmens ou des ouvertures pour des pièces qui n’ont jamais été faites[1]. La Geneviève de Schumann n’a été conservée à la scène qu’à cause du nom de l’auteur, et quant à son Manfred, l’idée de l’y transporter a été, selon nous, tout à fait malencontreuse. Il ne faut rien moins que la longanimité d’un public allemand pour supporter au théâtre ce manque absolu d’action et la longueur de ces vagues mélopées péniblement reliées entre

  1. Le Retour dans la patrie et les Noces de Gamache, œuvres de sa jeunesse, ne sont pas restées au théâtre ; mais on exécute quelquefois encore des fragmens de Loreley, qui d’ailleurs n’a pas été terminé.