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les intéresse à l’étude de leur art, développe chez eux la mémoire en même temps que la souplesse de talent que demande l’exécution d’œuvres de styles si différens. Aussi sont-ils capables d’apprendre et de jouer en peu de temps des ouvrages considérables qui chez nous, pour être montés, exigent des efforts bien autrement longs et pénibles.

La gestion des théâtres se lie naturellement de près à une telle situation et contribue à la maintenir. Disons-le tout d’abord, ce n’est pas au profit qu’elle vise, et des subventions très larges sont généreusement accordées par les villes, par les souverains ou par l’état[1]. Dans les capitales, l’administration de l’Opéra est confiée non pas à un industriel cherchant surtout à gagner de l’argent, mais à un intendant, grand personnage réputé pour son goût. Son traitement est fixe, et il n’a par conséquent rien à voir à la recette ; mais en revanche il doit se préoccuper d’élever le niveau de l’art. Sous la haute direction de l’intendant, avec des attributions, égales et des appointemens pareils, deux maîtres de chapelle, deux artistes ayant fait leurs preuves et choisis pour leur talent et leur instruction musicale, se partagent la besogne. Ils sont, à tour de rôle, chargés de présider à l’étude des pièces qui figurent au répertoire. S’agit-il d’une œuvre nouvelle, présentée à l’intendant pour être jouée sur le théâtre qu’il dirige ? La partition est transmise successivement par lui aux deux capellmeisters, dont chacun doit séparément lui adresser un avis motivé sur le mérite de l’œuvre proposée. Si les deux consultations concordent, elles sont ratifiées par l’intendant ; en cas de partage, celui-ci décide, et s’il conclut à l’acceptation, celui des deux sous-directeurs qui a opiné dans le même sens est chargé de présider aux répétitions en se concertant avec l’auteur. Cette façon de procéder, si elle ne préserve pas entièrement des abus, présente du moins des garanties pour les compositeurs. Au lieu de les abandonner sans merci à l’ignorance d’un directeur complètement étranger aux choses de l’art, elle remet le jugement de leurs œuvres à deux de leurs pairs, placés eux-mêmes sous la dépendance et le contrôle d’un grand seigneur ami des arts et qui, s’il comprend bien sa mission, avec l’aide du souverain et les ressources dont il dispose, a de singulières facilités pour la remplir convenablement.

Quelquefois le souverain lui-même intervient par ses goûts propres ou ses caprices et se mêle personnellement à la direction. On sait

  1. C’est ainsi qu’à Aix-la-Chapelle, la salle et l’orchestre sont donnés par la ville. Avec la salle, Cassel ainsi que Wiesbade reçoivent 225,000 francs ; Hanovre et Brunswick, 300,000 francs ; à Cobourg, à Weimar, à Gotha, à Darmstadt et Schwerin, les théâtres sont exploités aux risques de la cassette des princes et nécessitent de fortes subventions. Outre la salle et l’orchestre, l’Opéra de Dresde touche une subvention de 675,000 francs ; celle de Berlin est de 450,000 francs, avec garantie pour les déficits possibles.