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remplis avec conscience. Grâce à une direction intelligente et ferme, grâce à des traditions acceptées, c’est à faire valoir les œuvres elles-mêmes que s’appliquent les efforts de tous, avec le plus judicieux emploi des moyens qui peuvent concourir à leur parfaite exécution.

Le public, s’il en était besoin, veillerait au maintien des principes et protégerait lui-même ses plaisirs. Son attitude aussi mérite d’être notée. Toute tentative nouvelle, pour peu qu’elle soit sérieuse, rencontre de sa part une attention et même une patience qui, dans bien ides cas, nous l’avouons, peuvent sembler excessives. Non-seulement la claque est chose inconnue en Allemagne, mais, dans la plupart des grands théâtres, il n’est point d’usage d’interrompre la suite d’une scène ou même d’un acte par des applaudissemens. On ne risque point d’y voir le chanteur ou la chanteuse dont le talent tient en suspens tout un public s’avancer vers la rampe pour le remercier de ses bravos par une révérence ou par un sourire, au moment le plus pathétique et sans aucun respect de l’illusion scénique. Un bénéfice peut-être plus précieux encore de cette réserve du public, c’est qu’au lieu de chercher à provoquer violemment son attention et de forcer, comme on dit, la note pour se mettre eux-mêmes en évidence, les exécutans s’habituent à ménager les effets qu’ailleurs ils prodiguent à tout moment. Sans prétendre à ces enthousiasmes frénétiques par lesquels trop souvent on récompense le ténor à la mode de ses contorsions et de ses cris, un chanteur allemand aspire à cette satisfaction plus haute d’exprimer dans leur plénitude les créations des maîtres, de s’effacer pour reporter sur celles-ci toute la lumière. Il vise au grand art et ne s’en laisse pas détourner par les suggestions d’une inquiète et vaniteuse personnalité. On l’oublie trop en effet, le public et les artistes sont solidaires. Les triomphes les plus bruyans ne sont pas toujours les plus enviables, et les démonstrations tapageuses de certains succès témoignent autant contre ceux qui s’y livrent que contre ceux qui les provoquent.

Aussi bien, pour être plus discrètes, les marques d’approbation ne manquent pas, en Allemagne, aux exécutans. Après chaque acte et à la fin de la pièce, quand la toile tombe, les applaudissemens peuvent librement éclater et les acteurs qui en sont jugés dignes sont rappelés. Ces marques de la satisfaction générale ainsi exprimées ont une signification plus précieuse, puisqu’elles s’adressent à l’artiste non plus pour tel air de bravoure, pour tel détail de son rôle, mais pour l’intelligence et le talent dont il a fait preuve dans l’interprétation de l’ensemble. Ce qui pour lui vaut mieux encore que des démonstrations limitées le plus ordinairement chez nous à l’étroite enceinte du théâtre, c’est la position qui souvent lui est faite