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rapprocher du soleil, s’élèvent en l’air à la hauteur de deux coudées. Les gymnosophistes ordonnent à un orme de saluer Apollonius, et l’arbre obéit ; mais c’est Apollonius lui-même qui accomplit les faits les plus merveilleux. Ici la ressemblance du roman de Philostrate avec les livres sacrés du christianisme devient surtout manifeste. Les miracles d’Apollonius sont tout à fait semblables à ceux que l’Évangile raconte de Jésus : il guérit les possédés, il confond l’esprit malin et le force d’avouer sa défaite, il apparaît à ses disciples qui le croyaient très éloigné, il rend la santé aux malades, enfin il ressuscite une jeune fille qu’on allait enterrer. Ce dernier récit contient des particularités curieuses et qu’il faut relever. Philostrate n’ose pas affirmer que la ressuscitée fût tout à fait morte. « Elle passait pour l’être, nous dit-il ; si bien qu’on la portait au bûcher. » Son fiancé suivait le lit mortuaire en poussant des cris, et Rome entière pleurait avec lui. Apollonius ne fit que la toucher et balbutier quelques mots. « Aussitôt cette personne qu’on avait crue morte parut sortir du sommeil. Elle poussa un cri et revint à la maison paternelle, comme Alceste rendue à la vie par He-cule. » Que de précautions pour ne pas se compromettre ! On voit que ce miracle semble un peu fort à Philostrate et qu’il n’ose pas en prendre la responsabilité. Quoiqu’il sache qu’il s’adresse à des gens disposés à tout croire, le courage lui manque quelquefois, et quand le prodige lui paraît trop extraordinaire, il l’atténue. Ce qui est assez étonnant, c’est que ces timidités ne lui profitent guère : elles n’empêchent pas que le merveilleux ne choque plus dans son livre qu’ailleurs. Son héros est trop philosophe pour être un prophète : ce milieu de raisonnement d’école et de discussions subtiles où il l’a placé est peu favorable au surnaturel. Quand on passe de ces entretiens socratiques sur la justice et la vérité au récit de faits miraculeux, on se sent transporté dans un monde différent, et la surprise ajoute à l’incrédulité.

C’est la grande faiblesse du livre de Philostrate que les élémens divers qu’il renferme y sont mal fondus. L’imitation qu’il a voulu faire des livres chrétiens s’arrête à la surface ; il n’y a pris que quelques détails qu’il applique tant bien que mal à son personnage et qui modifient fort peu sa figure. En dépit de tous ces mélanges, Apollonius reste un Grec ; ce qu’il a d’important et d’essentiel, il le tient tout de son pays. Il ne ressemble guère au fondateur du christianisme, quoique Philostrate ait tenu à le placer plus d’une fois dans des situations semblables. Il n’a rien surtout de la divine simplicité de Jésus. Son orgueil philosophique se montre partout de la façon la plus désagréable. Il provoque sans cesse ses disciples ou ses adversaires à des combats de parole ; il leur demande