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franchissait la porte, ils se mirent en marche. Pour tout le monde, ces hommes rouges ne pouvaient être que des Européens, et le bruit de notre expédition devait avoir un grand retentissement dans tout le pays.

« Nous nous dirigions vers le nord ; à une distance de 3 kilomètres du quartier général, nous trouvons un rempart de pierres qui défend le seul passage, large de 1,500 mètres environ, par où l’on puisse arriver jusqu’à Woreillou ; de tous les autres côtés d’affreux précipices rendent la position inexpugnable. Nous franchissons les portes de la muraille ; là nouvelle surprise, Fît Worari Woldié, chef de l’avant-garde, m’attendait avec plus de deux mille cavaliers armés en guerre ; il vint à moi et me dit qu’il avait été spécialement chargé par le roi de m’accompagner avec sa cavalerie et de se mettre à mes ordres.

« A trois heures, nous arrivons dans une plaine magnifique et admirablement cultivée ; partout la végétation couvre la terre comme d’un immense tapis vert, l’orge est en fleurs, les blés poussent droit leurs tiges vigoureuses, pourtant le mois de mars n’est pas encore commencé. Nous campons à Chotalla ; nous sommes ici en plein pays des Wollo-Galla, presque tous musulmans ; aussitôt les tentes dressées, on abat six bœufs pour la nourriture des troupes ; mes garibaldiens occupaient une place à part ; obéissant au mot d’ordre reçu, ils quittent leur costume rouge, reprennent prestement le costume national pour n’être pas reconnus et se mêlent à la foule du camp. Le soir, après dîner, ma tente est envahie par les principaux officiers qui viennent me demander des nouvelles de France, de Jérusalem. Les grands feux de bivac, les chants de guerre et les cris de joie des soldats durèrent toute la nuit, révélant aux Gallas la présence de notre armée.

« Le lendemain matin nous sommes rejoints par une arrière-garde qui grossit mon escorte de près de cinq cents hommes ; ma promenade prend les proportions d’une expédition véritable. A huit heures nous nous mettons en route, et nous ne tardons pas à arriver dans la plaine de Guimba ; le site est vraiment délicieux et le gibier fourmille : les oies, les canards, les hérons, les grues, les vanneaux, nous barrent le passage, c’est à peine s’ils s’écartent quand nous les touchons du pied. Parvenus au fond de cette immense plaine, à Guimba même, nous dressons nos tentes pour y passer la nuit. Le vendredi est pour les Éthiopiens un jour d’abstinence, et ils l’observent très scrupuleusement comme aussi tous les jeûnes prescrits par l’église ; le premier repas de la journée n’a lieu qu’à trois heures de l’après-midi et il se compose d’alimens maigres exclusivement.

« Le 27, de bon matin arrive à notre camp un fort détachement de cavalerie expédié vers nous par Mohammad Ali, général du Choa,