Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/897

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

généralement doux et bienveillant, mais il est fier, susceptible, et il ne faut pas le tromper. Tout Européen qui arrive en Ethiopie est d’abord considéré comme un homme supérieur : en effet il a vu, il sait davantage, et l’on compte beaucoup sur lui ; on lui laisse d’ailleurs toute liberté d’action, on va même jusqu’à lui fournir les moyens de satisfaire ses passions, bonnes ou mauvaises ; il semble livré à lui-même sans contrôle ? c’est une erreur. Durant plusieurs mois, il est l’objet d’une surveillance occulte de nuit et de jour ; le roi est informé très exactement de ses paroles et de ses actes ; si cet examen ne lui a pas été défavorable, il lui est permis de s’établir dans le pays et il ne trouve que des amis ; dans le cas contraire, il n’a qu’à déguerpir promptement. M. Arnoux ne pouvait pas lui-même échapper à cette surveillance toute naturelle, et il ne songea pas à s’en offenser, mais il allait trouver un adversaire inattendu dans le fameux Bourrou, l’auteur de l’échec de M. Godineau, qui, une fois découvert, avait été forcé de quitter les états de Johannès Kassa et s’était réfugié au Choa auprès du roi Minylik. Celui-ci, ignorant qu’il fût vendu à l’Égypte, l’avait comblé de faveurs et créé ras ou connétable. Le misérable n’attendait qu’une occasion pour trahir son nouveau maître ; seulement, avec sa duplicité ordinaire, il affectait de montrer envers l’étranger que le roi traitait si bien une grande déférence.

Le 24 février M. Arnoux sortait de chez le roi, quand il trouva, en rentrant dans sa demeure, deux grands personnages qui l’attendaient et qu’il ne connaissait pas encore. C’étaient Ato Nadau et Meunié Gabra Sallassé, confesseur du roi. Ato Nadau est un des serviteurs de Minylik les plus dévoués et d’une fidélité à toute épreuve ; lorsqu’Haïlo Mélekôt mourut, c’est à lui qu’il confia le jeune prince. Ato Nadau suivit Minylik à la cour de Théodoros, le soigna comme un père, et dix ans après il contribua un des premiers, à la tête de ses fidèles, à l’évasion du prince et à la reconquête du royaume. Depuis lors il vit indépendant sur ses terres, qui sont très étendues, car il est fort riche, et il ne vient à la cour que lorsqu’il craint pour son pupille ; de fait la situation politique paraissait grave.

Au moment où commençait la débâcle de Théodoros, précipitée par ses cruautés, son orgueil et ses violences, plusieurs chefs et généraux, sans parler de Minylik, avaient sur plusieurs points de l’empire levé l’étendard de la révolte. Au centre, Teklé Ghiorghis, dit Gobhesieh, le plus ardent peut-être des adversaires de Théodoros, occupait les régions montagneuses du Waag et du Lasta ; un autre prétendant, Kassa, issu de noble famille, était depuis 1866 maître incontesté du Tigré. Lorsqu’ils arrivèrent en Ethiopie, les Anglais n’eurent pas de peine à obtenir le concours de Kassa ; il ne