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aussi sortiront des principes nouveaux de discipline dans l’armée, d’ordre dans l’administration publique, qui doivent tant contribuer à fortifier le pouvoir de votre majesté. Quand vous aurez fait de votre royaume un état civilisé, il ne vous sera pas difficile, avec l’aide de vos grands et de votre peuple qui vénèrent en vous l’héritier de leurs anciens rois, de faire accepter votre autorité à des nations encore barbares ou déchirées par les discordes ; vous réunirez les membres épars de la grande famille éthiopienne, vous opposerez un rempart à l’ambition égyptienne et, sauveur de votre pays, vous mériterez de votre peuple le nom de Minylik le Grand… »

Le roi répondit avec émotion : « Vous avez deviné mes plus secrets désirs. C’est Dieu sans doute qui vous a envoyé vers moi ; je suis heureux d’entendre vos conseils. Vous avez quitté votre pays pour venir dans, le Choa faire de grandes choses, je vous aiderai, et ce que vous m’avez dit, nous le ferons. Les Français sont mes amis, c’est sur eux que je fonde l’espoir de mon règne. Je vous donne toute ma confiance et mon amitié ; mon pays est le vôtre, et vous êtes au milieu d’un peuple qui vous aimera aussi. »

Durant ces trois jours, personne n’était admis auprès du roi, mais tandis qu’il tenait conseil, un édit était promulgué dans la ville de Litché au son d’un gros tambour suivant l’usage du pays. Par cet édit, Minylik proclamait l’abolition de l’esclavage dans toute l’étendue de son royaume ; tout chrétien éthiopien ne pouvait plus ni vendre ni acheter d’esclaves, et, si quelque esclave était conduit en fraude sur les marchés, il avait le droit de revendiquer sa liberté et de réclamer la protection des juges ; tout musulman qui traverserait le royaume conduisant des esclaves serait arrêté, enchaîné, mené en prison et jugé ; les esclaves, rendus à la liberté, seraient reconduits dans leur pays ou admis à leur gré dans la maison du roi ; ce décret devait recevoir une exécution immédiate. Tel était le premier effet de l’influence française et des nobles conseils de M. Arnoux sur l’esprit généreux du jeune prince.

Le dimanche 24 février, le roi partit de grand matin pour choisir lui-même l’endroit où établir la poudrerie : M. Arnoux avait apporté avec les présens un outillage complet pour fabriquer la poudre et c’est M. Jaubert qui devait diriger la fabrication. Jusqu’ici en effet chaque fusilier éthiopien faisait lui-même sa poudre, assez grossière, comme bien on pense. L’emplacement choisi fut Mal-Houze, un paysage charmant entre Ankobar et Fekrié Gumb. En quelques jours, la poudrerie fut construite, installée, et put se mettre à fonctionner ; une roue hydraulique y fait marcher une batterie de douze pilons ; les ouvriers indigènes, instruits par M. Jaubert, ne montrent pas moins d’intelligence et d’activité que nos ouvriers européens. Depuis les Portugais, on n’avait pas