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l’informait officiellement que la situation financière de la France ne permettait pas en ce moment de donner suite, par une occupation définitive, à la prise de possession effectuée en 1862. Malgré ce double insuccès, et bien qu’une cruelle perte de famille fût venue combler ses chagrins, M. Arnoux ne se découragea pas et résolut de tenter l’entreprise avec ses seules ressources. Il adressa de Marseille à son personnel un pli contenant, avec ses instructions, une nouvelle lettre pour le roi de Choa, qui devait être expédiée sans retard. Puis il prit passage à bord d’un navire des messageries à destination d’Alexandrie, et de là gagna Aden ; ses bagages et les présens qu’il destinait au roi Minylik l’y avaient précédé ; il emmenait avec lui MM. Jaubert, Dissard et Béranger, trois Français ; plus tard, un autre Français, M. Péquignot, employé à Aden, vint les rejoindre à Ambobo ; pour drogman, il prit un Éthiopien, élevé par les missionnaires lazaristes, Joseph Négousieh.

À Aden, le voyageur rencontra Mohamet, fils d’Abou-Bakr, émir de Zeila, Hadji Daoûd, qui, tout jeune encore, en 1843, avait conduit M. Rochet d’Héricourt au Choa, puis deux Éthiopiens, Aba-Mikael et Ato Workie, envoyés par le roi pour accompagner des marchandises qu’ils avaient consignées chez un commerçant de la ville ; ils attendaient divers articles en échange et comptaient partir prochainement. M. Arnoux entra aussitôt en relations avec eux, et à la vue de la lettre et du sceau du roi, qu’ils reconnurent sans peine, ils se mirent tous volontiers à sa disposition. Des difficultés survenues avec l’entrepositaire firent perdre beaucoup de temps ; on eut aussi quelque peine à obtenir la sortie de trois caisses d’armes et de munitions. Enfin la petite troupe prit place sur un sambouk, mauvaise barque dont on se sert dans ces parages, grosse à peine comme une coquille de noix et dépourvue même de boussole ; les Éthiopiens n’avaient pas quitté Aden. Le 28 février 1874, on arriva heureusement à Zeila.

L’émir Abou-Bakr, gouverneur de cette ville, payait alors tribut à la Turquie ; grâce à sa position, qui fait de lui l’intermédiaire obligé de tout le commerce du Choa, il s’est acquis en peu de temps une fortune immense ; d’ailleurs exempt de tout scrupule, fourbe, cupide et cruel, il est avantageusement connu comme le plus fort marchand d’esclaves de la côte d’Afrique ; pour sa part, il a toujours quinze ou vingt femmes dans son harem, et ses enfans se comptent par douzaines. Prévenu de l’arrivée des voyageurs, il les accueillit fort bien ; puis il remit à M. Arnoux une nouvelle lettre du roi, datée de Litché. Dans cette lettre, Minylik disait en substance qu’il chargeait l’émir de procurer aux Français tous les moyens de transport nécessaires, comme aussi des guides pour les conduire au Choa ; que du reste, dès leur arrivée sur les bords de