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L’on traite rarement à forfait, et le taux des honoraires dépend en général du succès de la plaidoirie. L’avocat stipule un salaire beaucoup plus élevé s’il obtient à son client gain de cause. Dans les affaires civiles, il exige souvent du plaideur, en cas de réussite, bien entendu, 5, 10, 20 pour 100, parfois davantage, sur les sommes en jeu. Dans les affaires criminelles, les honoraires de l’avocat montent et s’abaissent suivant que plus légère ou plus lourde est la peine infligée au prévenu. L’avocat, ainsi directement intéressé à la cause qu’il défend, devient en quelque sorte l’associé de son client. Comme en Russie on plaide beaucoup aujourd’hui et qu’il y a fréquemment de grosses affaires, les bénéfices sont parfois considérables. On cite des procès qui ont rapporté aux vainqueurs de la barre des 10,000, 20,000, 40,000 roubles. Aussi depuis les vieilles maisons princières de kniazes jusqu’aux familles de marchands enrichis, depuis les fils d’officiers ou de tchinovniks jusqu’aux fils de prêtres, toutes les classes de la société ont fourni leur contingent à la nouvelle et brillante carrière. Le barreau de Saint-Pétersbourg et de Moscou a, comme celui de Paris ou de Londres, ses grands orateurs devant lesquels le chemin de la réputation et de la fortune est largement ouvert, et le jeune avocat à la mode, envié des hommes et courtisé des femmes, prodiguant en plaisirs l’argent rapidement gagné à l’audience, a fourni à la littérature des dix dernières années un nouveau type national.

Des défauts pour lesquels quelques écrivains étrangers se sont peut-être montrés trop sévères[1] ne doivent pas cacher à nos yeux les qualités et les services du barreau russe, dans les capitales surtout. Qu’il soit intéressé et cupide, que dans ses plaidoiries il manque de méthode et de goût, qu’il soit prolixe et enclin à l’emphase, le jeune barreau de Pétersbourg et de Moscou n’est point dénué de toutes les qualités professionnelles, il a plus d’une fois montré qu’il en possédait au moins une et non la moindre. L’avocat russe n’a point failli à son devoir de défenseur. Durant les dix derrières années, marquées par tant de conspirations ou tant de procès politiques, aucun criminel, aucun prévenu n’est demeuré sans défense. Tout Russe, traduit devant un tribunal a vu se lever à ses côtés un homme qui osait en son nom débattre publiquement avec les représentans de l’autorité les charges de l’accusation. En Russie ce n’était pas là une mince innovation, pour les survivans du règne de l’empereur Nicolas c’était un dangereux scandale.

Dans ce vaste empire dépourvu de chambres et d’assemblées

  1. Je citerai par exemple, en Angleterre, M. Mackensie Wallace : Russia, t. II, p. 399, 400, et en Autriche le docteur Célestin : Russland seit Aufhebung der Leibeigenschaft, p. 182-183.