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les intéresse non moins à la bonne renommée de la justice de paix et par suite à son intégrité, à son impartialité. Pour un pareil tribunal, la solidarité morale des juges peut ainsi être une force autant qu’une faiblesse, une garantie autant qu’un motif de soupçon. Quant au manque d’instruction, à l’absence de connaissances juridiques, c’est un défaut que le temps peut faire disparaître des assises de paix encore plus vite que du prétoire des simples juges. Sans recourir à l’exemple de l’Angleterre et des États-Unis, où fonctionne depuis des siècles un système plus ou moins analogue, l’exemple des deux capitales et des grandes villes montre qu’en Russie même la justice de paix ainsi constituée peut fonctionner d’une manière satisfaisante. Dans l’intérieur de l’empire, il y a moins lieu de s’étonner des défauts reprochés à l’institution que des services rendus par elle avec un personnel encore aussi insuffisant.

De toutes les parties de la réforme judiciaire, c’est en effet la justice de paix, la plus contestable dans son principe, la plus téméraire dans son application, qui a le mieux réussi. Je n’en veux pas augurer l’avenir. La plupart des inconvéniens actuels de cette justice élective proviennent moins du principe de l’élection que du manque d’instruction. Ces imperfections, ces lacunes signalées chez les juges et dans les assises de paix, le temps et les mœurs les pourront effacer. Le progrès de la culture et de l’esprit public pourra élever, épurer ces institutions judiciaires en en relevant le personnel, mais à l’heure même où elles sembleront sur le point d’être portées au plus haut degré de perfection, surgira pour elles un péril nouveau, le péril provenant du principe même de l’institution. L’éclosion de la vie politique y pourra faire naître peu à peu des germes malsains et des fermens de corruption. L’avenir recèle ainsi, dans ses progrès mêmes, une menace pour cette magistrature qu’il doit temporairement amender. Sous ce rapport, je crains que les Russes qui attendent des libertés politiques l’extension et l’amélioration de la justice élective ne soient dupes d’une noble illusion. A nos yeux, nous devons le répéter en concluant, la liberté politique, qui est indispensable au plein épanouissement du self-government administratif, risque d’être une cause de perversion pour la justice élective, qui de loin apparaît à tant d’esprits prévenus comme le complément naturel du self-government.


IV

Au-dessus ou mieux à côté de la justice de paix s’élève la magistrature ordinaire. Si la première nous offre des traces de