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honorifique n’auraient d’ordinaire ni le loisir, ni le goût d’exercer d’aussi modestes fonctions ; ne pouvant les leur faire remplir, on leur en a donné le titre, non pour leur conférer une distinction personnelle, mais afin de rehausser, grâce à leurs noms et à leur rang, le prestige et l’autorité sociale de la magistrature élective. La plupart de ces personnages ne résident que peu de mois ou peu de semaines dans les districts dont ils sont les élus ; bien peu ont jamais siégé en face des plaideurs, mais, quand ils se rendent dans leurs terres, les juges de paix honoraires ont tout comme leurs collègues libre accès et libre voix dans les assemblées de paix qui, ainsi que nous le verrons, servent à cette magistrature de cours d’appel.

Les juges de paix ordinaires sont en général des hommes d’une position ou d’un rang fort inférieur, bien qu’ils soient élus par les mêmes assemblées et dans les mêmes conditions d’éligibilité. Au lieu de posséder un grade élevé dans la hiérarchie bureaucratique, ils n’ont pour la plupart aucun tchine ou en sont restés aux premiers, échelons du tableau des rangs. D’après la loi, les juges de paix peuvent être choisis dans toutes les classes de la société ; mais comme le législateur exige d’eux une propriété immobilière, ce sont, en dehors des villes au moins, des propriétaires fonciers, c’est-à-dire habituellement des nobles (dvoriane). La loi qui impose aux candidats un cens de fortune ne tient point compte de la richesse mobilière, comme si, en faisant de la nouvelle justice locale le privilège des propriétaires, le législateur eût voulu dédommager l’ancien seigneur, le pomêchtchik, des droits dont le dépouillait l’émancipation des serfs. Grâce à ce cens territorial, l’on pourrait dire que dans les provinces la noblesse se trouve indirectement en possession de ce droit de justice, dont quelques-uns de ses membres ont réclamé pour elle le monopole. Les juges de paix sont en effet nommés par des assemblées où d’habitude la noblesse a une incontestable prépondérance, et ils sont forcément presque tous pris dans ses rangs[1].

C’est là un fait digne de remarque et qui, pour une magistrature

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juillet 1878, l’étude ayant pour titre : le Self-government en Russie ; les États provinciaux. Dans les zemstvos peu nombreux, ne comptant par exemple qu’une trentaine de membres, il arrive que douze ou quinze propriétaires choisissent à leur gré tous les juges du district. Ces élections peuvent dans ce cas présenter parfois le singulier phénomène que nous avons signalé dans les élections provinciales et municipales ; il peut y avoir autant et plus de candidats que d’électeurs. Pour remédier à de tels inconvéniens, comme pour assurer aux différentes classes une représentation plus équitable, on pourrait lors des élections judiciaires adjoindre aux membres des zemstvos des assesseurs spécialement désignés par toutes les classes de la population locale.