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on peut se prononcer pour l’immanence ou la transcendance de la cause finale ; du moment que la finalité est reconnue comme la loi intime de toute force, de toute vie, comme de toute âme et de toute intelligence, il n’y a plus de mystère. Comment la vie a-t-elle pu jaillir de la matière, comment le meilleur, pour répéter le mot d’Aristote, a-t-il pu venir du pire ? C’est que, selon la formule de ce profond esprit, le pire est déjà le meilleur en puissance, qu’il le contient virtuellement : en sorte que, si tel concours d’élémens et de conditions lui permet de l’engendrer, on ne peut dire que cette manifestation supérieure de l’être soit un effet sans cause. C’est que, comme Leibniz aime à le redire, il n’y a rien de mort ni de stérile dans la nature. Tout atome matériel est une force ; toute force, bien que soumise dans ses mouvemens aux lois physico-chimiques, obéit à la loi supérieure de la finalité ; tout mouvement tend à une fin, et l’on peut dire que l’activité universelle de la nature est spontanée. Faut-il aller plus loin encore dans la voie d’un spiritualisme absolu ? Faut-il dire, avec la philosophie de l’identité, que toute tendance est désir, volonté, amour de l’être aspirant à l’éternel idéal du bien ? Faut-il répéter, avec l’un de ses plus brillans interprètes, que c’est toujours la même pensée qui est au fond de la plus infime matière et de la plus haute intelligence, qui dort dans la pierre, rêve dans la plante, s’éveille dans l’animal et prend enfin pleine conscience d’elle-même dans l’homme ? Faut-il dire, avec Schelling et M. Ravaisson, que la nature est comme une réfraction ou dispersion de l’esprit ? Sans contester la profonde vérité qui est au fond de ce métaphorique langage, notre spiritualisme ne va point jusqu’à confondre le mouvement avec la vie, la force avec l’âme, la physique avec la physiologie et la psychologie. Il croit, sur les indications de l’expérience, à certains états latens ou obscurs de la force, de la vie, de la sensibilité, de la conscience ; mais il se refusera prêter à la matière les attributs de la vie et de l’âme, parce que ce serait confondre les règnes de la nature et supprimer les distinctions nécessaires de la science. Il lui suffit de redire, avec la grande école stoïcienne, que la raison finale, vraie raison des choses, est partout dans l’univers, qu’elle le crée, le conserve, le gouverne, le maintient dans la voie du bien, selon les lois immuables de la mécanique, de la physique et de la chimie.

Spiritus intus alit, totamque infusa per artus
Mens agitat molem, et magno se in corpore miscet[1]


Voilà en deux beaux vers l’explication de l’évolution cosmique.

  1. « Une âme répandue dans tous les membres de ce vaste corps donne la vie et le mouvement à l’universelle matière. » Virgile, Enéide, VI, 725.