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pour tel règne nouveau. On peut, en un mot, contester que la science puisse indiquer ou décrire avec précision le comment des opérations naturelles qui ont, dans l’origine, changé la face des mondes et des règnes de la nature. Il n’en est pas moins permis de ne chercher désormais que dans la théorie de l’évolution la solution de ce grand problème.

Seulement, alors même que la science parviendrait à nous expliquer dans tous leurs détails comment ont dû s’opérer toutes ces métamorphoses, en s’appuyant sur un ensemble de faits authentiques et décisifs, le dernier mot de la question resterait à dire. L’évolution, par laquelle on aurait réussi à expliquer toutes choses, resterait elle-même un mystère inexplicable avec les principes de l’école mécaniste. On nous y enseigne que, rien ne pouvant venir de rien, le cosmos tout entier a son principe dans la matière première soumise aux seules lois physico-chimiques. Comment l’évolution a-t-elle pu faire sortir de cette matière des êtres qui ont de tout autres propriétés ? Comment a-t-elle pu opérer ce miracle d’effets sans causes ? Comment, pour parler le langage d’Aristote, le meilleur peut-il venir du pire ? L’évolution ainsi entendue fait-elle autre chose que tirer l’être du néant, de même que ! a création proprement dite, dont nos savans ne veulent plus entendre parler ? La philosophie mécanique s’épuise en hypothèses ingénieuses sur les infinies transformations de la matière première ; elle joint l’œuvre insensible du temps à l’incessante action des forces physico-chimiques. Le mystère des métamorphoses de la vie universelle n’en demeure pas moins impénétrable.

C’est ici que se montre l’impuissance des sciences physiques et naturelles, et que se fait sentir l’impérieuse nécessité de chercher ailleurs le mot de l’énigme. L’ancienne physique, sauf l’école atomistique[1], n’a pas compris la véritable essence de la matière. Platon et son école en font une espèce de non-être qui n’aurait guère d’autre rôle que de dérober à l’intelligence la vue de l’être véritable, l’intelligible. Pour Aristote, la matière n’est qu’une pure

  1. L’école épicurienne est la seule qui ait fait du mouvement une propriété essentielle de la matière. N’est-ce pas aller trop loin que d’attribuer à l’atome d’Épicure une sorte de spontanéité motrice, ainsi que l’ont fait plusieurs historiens contemporains de cette philosophie ? Nous craignons qu’on n’ait exagéré la portée de la théorie du clinamen, mouvement naturel qu’Epicure oppose au mouvement mécanique supposant un moteur étranger. Avec toute son école, il ne voulait point entendre parler de causes finales ; ses atomes obéissent à des lois et non à des fins. C’est le déterminisme absolu et universel, dans lequel la spontanéité, aussi bien que la liberté, ne trouve pas plus de place que dans le fatalisme proprement dit. Toute la différence entre ces deux doctrines, sous ce rapport, c’est que, dans la première, la nécessité des mouvemens et des actes a une cause intérieure, tandis que, dans la seconde, elle a une cause extérieure.