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en surexcitant la curiosité humaine. Comment ces grands corps si imposans par la régularité et l’harmonie de leurs mouvemens sont-ils sortis de la diffusion et de la confusion de la matière primitive ? Comment le chaos a-t-il engendré le cosmos ? Comment cette infinie variété d’espèces vivantes qui s’épanouissent ou s’agitent sur la surface de notre globe a-t-elle pu apparaître tout à coup au sein du règne inorganique ? Problèmes redoutables dont le puissant intérêt ne permet pas plus à la science qu’à la philosophie de se renfermer dans le domaine des réalités actuelles.


V

Il n’y a que deux solutions à ce problème : la création et l’évolution. Quelle est l’origine première des choses ? Peut-on concevoir la matière, avec ses propriétés mécaniques, physiques, chimiques élémentaires, comme ayant toujours existé ? On ne faut-il pas la faire sortir du néant par un acte de suprême création ? Ce problème de haute métaphysique ne rentrant point dans l’ordre des questions que nous avions à débattre, nous nous bornons à prendre la matière créée ou incréée pour point de départ des deux théories que nous venons de nommer. Toutes deux ont à expliquer chacune des grandes métamorphoses par lesquelles a passé la matière pour en arriver d’abord à la forme des grands corps célestes et à l’harmonie de leurs mouvemens, puis à l’organisation intérieure de ces corps, puis aux diverses phases de la vie végétale qui couvre le globe terrestre, puis enfin aux diverses époques de la vie animale dont les espèces l’ont peuplé. La théorie de la création a imaginé pour chaque époque de la nature un de ces grands coups de théâtre qu’on nomme des révolutions, et où elle fait intervenir brusquement et directement la cause créatrice. C’est ainsi que cette cause, à chaque grande transformation, aurait, de sa puissante main, aidé la nature à franchir les abîmes ouverts entre les règnes, les genres et les espèces, pour s’élever de la matière diffuse à la formation des corps célestes, et, dans le globe terrestre, de la matière inorganique à la matière vivante, enfin des ébauches les plus informes aux plus parfaits exemplaires de la création vitale. Cette théorie a régné quelque temps dans le monde savant. Facile à saisir, faite pour frapper l’imagination par le tableau de ces genèses improvisées au sein de cataclysmes foudroyans, elle a eu un moment pour elle l’autorité des plus grands noms de la science. La philosophie spiritualiste l’accueillait d’autant plus volontiers qu’elle ne voyait qu’une répétition de l’acte créateur primitif dans ces éclatantes manifestations de la puissance divine. La théologie s’en accommodait mieux encore, en