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était sans contredit le siège de Potidée. Les Péloponésiens s’étaient imaginé qu’il leur suffirait de ravager l’Attique pour obliger les Athéniens à rappeler leurs troupes et à évacuer l’isthme de Pallène. Cet espoir fut déçu ; les troupes athéniennes demeurèrent impassibles, tant était grand l’ascendant que Périclès avait su conquérir sur ses concitoyens. L’hiver même ne fit pas abandonner aux hoplites ces rivages glacés. Après deux ans de siège, Potidée, perdant tout espoir d’être secourue, prit le parti de céder à la faim. Elle capitula.

Périclès ne survécut que quelques mois à cet important triomphe. A l’âge de soixante-cinq ans, deux ans et six mois après l’ouverture des hostilités, en l’année 429 avant notre ère, il descendit dans la tombe, plus heureux que ne le sont d’habitude les chefs populaires, avec toute sa renommée et avec toute sa gloire. Il avait prédit aux Athéniens que, « s’ils se contentaient de repousser les hostilités dirigées contre eux par une coalition injuste, s’ils s’appliquaient uniquement à maintenir leur suprématie maritime, sans chercher dans la guerre l’occasion d’étendre leur domination, ils sortiraient victorieux de la lutte. » La première phase de la guerre du Péloponèse justifia ses prévisions. Le prestige de Sparte en reçut une notable atteinte. Périclès était mort quand les alliés d’Athènes commencèrent à se détacher de la république ; on avait oublié ses conseils quand on décida l’expédition de Sicile. « Tant qu’il vécut le gouvernement ne fut démocratique que de nom ; le pouvoir était en réalité dans ses mains. » Pour être un gouvernement de persuasion, ce genre de gouvernement, lorsqu’il est exercé par un Lincoln ou par un Périclès, n’en a pas moins toute la force et toutes les qualités du gouvernement absolu. Mais a-t-on vu le ciel, en ses heures de clémence, départir aux peuples livrés à eux-mêmes beaucoup de ces favoris généreux qui savent « résister au besoin, résister avec autorité et même avec colère, modérer dans la prospérité une insolente confiance, relever dans l’adversité les courages abattus ? » Les Périclès sont presque aussi rares que les Napoléon. Joindre la sagesse à un ardent amour de la gloire, « mettre au déclin de l’âge sa plus grande jouissance à mériter le respect, » ce n’est pas le rôle d’un ambitieux. Ce n’est pas davantage le rôle d’un philosophe. Pour y aspirer, il faut avant tout aimer sa patrie, l’aimer d’un amour jaloux et croire sa grandeur aussi nécessaire que la lumière du soleil à l’existence du monde. Platon s’abstint soigneusement, malgré le crédit incontestable dont il eût pu jouir, de prendre part aux affaires publiques. C’était sans doute montrer une humeur bien morose que d’oser prétendre « que les Athéniens ne pouvaient plus être conduits au bien par la persuasion ou par la force. » Voltaire, à sa