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par Cléon. Voilà les épreuves où se font reconnaître les grands hommes. Le marin le plus médiocre peut se croire et se dire habile pilote quand ne souffle pas la tempête. Périclès parut sans pâlir devant le redoutable tribunal. Il ne s’abaissa pas aux prières ; il ne porta pas non plus avec arrogance le deuil de la cité. Son langage fut empreint de la noble énergie qu’inspirent aux véritables patriotes le culte du devoir et la foi dans une autre existence. Les sacrifices étaient douloureux, on les devait supporter, sans murmure et sans abattement, pour la grandeur d’Athènes. « Après avoir suivi mes avis dans la prospérité, dit le fils de Xantippe aux Athéniens, vous vous repentez dans la souffrance. Je m’y attendais, et votre colère ne me surprend pas. Vous avais-je dissimulé les épreuves que vous auriez à subir ? Le seul mal qui ait dépassé notre attente, c’est la peste, et ce fléau ne nous est venu que du courroux des dieux. Je vous avais dit qu’avec les ressources de votre marine, il n’était personne, peuple ou roi, qui pût arrêter l’essor de votre flotte. Vous ai-je trompé ? »

Il fallait que l’affection du peuple pour ce séduisant favori fût bien grande ou que l’éloquence de Périclès fût bien persuasive pour qu’on se soit contenté de le condamner à une amende de 331,000 francs ; la colère d’un peuple ne s’apaise pas généralement à si peu de frais. Périclès était nécessaire ; les Athéniens eurent le bonheur et le mérite de le comprendre. Ils l’avaient à peine frappé qu’ils le réélurent général et remirent entre ses mains, comme par le passé, les intérêts de la république. Quand il faut subir le gouvernement de la multitude, c’est encore quelque chose que cette multitude soit intelligente. On ne court pas au moins le risque d’être bêtement écrasé par un pied lourd et brutal.

Les Lacédémoniens faisaient une guerre atroce. Irrités de leur infériorité maritime, ils arrêtaient tous les navires, neutres ou alliés d’Athènes, qui passaient à portée de leurs côtes et ils en massacraient sans pitié les équipages. Les Athéniens se crurent en droit d’user de représailles. Ils se firent livrer par les Thraces deux ambassadeurs que Lacédémone voulait faire passer en Asie, Le jour même où ces ambassadeurs entrèrent dans Athènes fut le jour de leur exécution. Sans les juger, sans vouloir les entendre, on les jeta dans un gouffre immonde, réservé comme lieu de sépulture aux pires malfaiteurs. Après cet acte de violence sans exemple dans les fastes d’un peuple qui n’était pas généralement cruel, il ne pouvait plus être question d’adresser à Sparte des ouvertures de paix, comme on en avait eu un instant l’idée dans les heures de détresse. Il ne restait plus qu’à poursuivre, avec un redoublement de vigueur, les opérations engagées. La plus sérieuse de ces opérations