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nombreuse, assez complète dans toutes ses parties, pour que cette armée, séparée des vaisseaux qui l’auront jetée sur la plage, puisse aller se pourvoir au loin, et se pourvoir surtout sans délai, des ressources dont tout corps d’invasion, quelque soin qu’on apporte à le bien munir, ne saurait cependant se passer. Les Athéniens n’avaient pas le projet de marcher sur Sparte ; ils auraient voulu du moins s’emparer d’une base d’opérations sur le littoral. Ils attaquèrent successivement Modon et Epidaure ; dans ces deux tentatives, qui ne semblaient pas exiger un grand déploiement de forces, ils échouèrent. Les machines de guerre qu’aurait pu, à la rigueur, transporter leur flotte, n’eussent pas, à elles seules, résolu la question, car il n’existait pas, à cette époque, de machines capables de brusquer la prise de la moindre enceinte. L’artillerie a plus d’efficacité, et ce ne seront pas les pièces de siège qui manqueront aujourd’hui à une armée débarquée, si cette armée a seulement le moyen de les traîner. Là, par malheur, gît la difficulté. Les attelages se dérobent devant des troupes qui ne sont pas état de livrer bataille en rase campagne, de marcher et de demeurer, par un premier avantage, maîtresses du pays. Et comment oser sortir de ses retranchemens, si l’on n’a ni artillerie attelée, ni équipages de train, ni cavalerie ! Le premier consul avait prévu toutes ces nécessités ; ce sera toujours son incomparable génie qu’il faudra consulter quand on voudra combiner les opérations d’une armée et d’une flotte. Les archives de Boulogne resteront longtemps encore la loi vivante de semblables projets. Ajoutons cependant que bien des détails se sont simplifiés depuis 1804. Je ne veux pas seulement parler ici de l’appareil de propulsion ; j’ai surtout en vue le perfectionnement graduel des armes de guerre. Le canon à main, le vieux canon du moyen âge, ce premier-né des tubes chargés de poudre, que les Chinois braquaient encore, il y a vingt ans, sur l’épaule de leurs coulies, pourra fort bien, dans un avenir qui n’est peut-être pas très éloigné, suppléer dans une certaine mesure l’artillerie attelée. N’anticipons pas trop néanmoins sur le temps présent ! Si jamais on construit en France une flottille, il sera sage, avant de se demander combien on pourra transporter de soldats, de s’inquiéter du transport et du débarquement cent fois plus difficiles des chevaux. Indispensables et gênans auxiliaires qu’on doit conduire par la bride au rivage, qui se défendent si on ne leur offre une rampe douce pour descendre du chaland et qui s’obstinent à nager au large quand on prend le parti de les jeter à la mer ! J’ai eu ma part au débarquement d’Old-Fort ; j’ai présidé à celui de Kertch et à celui de Kinburn ; j’ai fait transporter des escadrons entiers de l’île de Sacrifîcios à Vera-Cruz. Il m’est resté de ces opérations une rancune invincible contre les animaux les plus nerveux et les plus maladroits de la