Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/712

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le radicalisme, il y a la nation presque tout entière, et que, lorsque de part et d’autre on aura chassé les fantômes, notre grandeur nationale reprendra son équilibre… »

C’est la vérité même, c’est la raison évidente pour tous ceux qui, sans abdiquer l’honneur de leurs opinions, savent accepter patriotiquement ce que la nécessité a fait, se soumettre à un régime sanctionné par le pays, concourir au bien dans des conditions d’une légalité reconnue sans vaine hostilité, sans arrière-pensée de sédition, et si cette politique eût été suivie depuis longtemps, au moins depuis qu’il y a une constitution régulière, les affaires de la France auraient pris peut-être une autre tournure. Les partis qui s’appellent conservateurs, et qui en dehors de leurs dénominations dynastiques représentent assurément des intérêts sérieux, auraient gardé sans effort leur influence et leur action dans l’état, dans la république. Ils seraient restés les vrais modérateurs du régime nouveau, des conseillers accrédités, écoutés précisément parce qu’ils n’auraient pas été suspects. Ils ne seraient pas devenus cette incohérente coalition de groupes ennemis, discordans, unis en apparence dans la défaite, fatalement voués aux divisions dans une victoire éventuelle, et à qui le pays peut dire dans un moment d’élection : Quel genre de révolution ou de guerre civile nous promettez-vous si nous votons pour vous ? Franchement que peut-il sortir d’une situation créée par cette manière d’entendre et de pratiquer la politique conservatrice ? L’expérience a été déjà faite, elle est inscrite dans nos annales ; elle a été racontée plus d’une fois et elle vient d’être reproduite récemment encore par un écrivain sérieux, M. Victor Pierre, dans une Histoire de la république de 1848, dans ce tableau encadré entre deux dates significatives, — le 24 février 1848 et le 2 décembre 1851 ! À cette époque aussi les partis conservateurs, tour à tour vaincus ou vainqueurs, ne déguisaient pas leur antipathie contre la république ; ils ne cachaient pas qu’en la servant ils étaient prêts à la livrer. Alors aussi M. le comte de Chambord écrivait des lettres ou des manifestes pour tracer des directions à ses amis qui en pleine assemblée réservaient ses droits. Les républicains de leur côté ne négligeaient rien à coup sûr pour rendre la république impossible par leurs passions anarchiques, et ils avaient commencé par faire une constitution qui n’offrait aucune garantie. Qu’en résultait-il bientôt ? Les uns et les autres, royalistes et républicains, se ruinaient mutuellement au profit d’un troisième victorieux. L’empire naissait des aveuglemens réactionnaires et des emportemens démocratiques. Grande leçon pour les monarchistes et les républicains, que l’esprit de parti et des passions implacables entraînaient dans une défaite commune !

La France d’aujourd’hui, sans doute, la France de la république nouvelle n’est point heureusement dans la même situation intérieure. La