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européenne de Nouméa ne s’émouvait pas ; elle croyait à un soulèvement partiel de piques tribus. Elle supposait que les Canaques, commandés par un chef altier du nom d’Ataï, avaient regagné les montagnes, aussitôt les tueries terminées, pour échapper aux troupes qui, dès le mardi, étaient parties sur la Seudre pour les châtier et protéger notre poste d’occupation de Téremba. Malheureusement, le mercredi soir la nouvelle se répandit à Nouméa que les massacres de la Foa s’étaient renouvelés à Boutoupari dans la vallée de la Ouaméni, c’est-à-dire sur les points les plus habités de la colonie. Le doute n’était plus possible : on se trouvait en présence d’une guerre d’extermination ; les colons, leurs femmes, leurs enfans, les condamnés, les Canaques même, employés dans les fermes, étaient frappés.

Voici comment procédaient les indigènes. Ils se présentaient par bandes de dix à quinze individus, s’approchaient d’une maison isolée et, sous prétexte de venir allumer leurs pipes ou de demander un objet quelconque, ils tombaient sur les gens sans défense et les tuaient soit d’un coup de revolver, soit d’un coup de casse-tête. Ceux des colons qui essayaient de se sauver tombaient dans les bandes qui parcouraient la campagne, et ces bandes les tuaient sans pitié. — La femme d’un nommé Porcheron était dans sa maison avec son enfant, son mari parcourait la ferme à la poursuite du bétail, ne se doutant nullement des dispositions hostiles des indigènes qui l’entouraient. Un de ses anciens domestiques canaques arrive et demande à manger ; on lui répond qu’il n’y a que du thé : on offre de lui en servir. Il dit oui tranquillement, et, tandis que Mme Porcheron prend la bouilloire pour lui en verser, le misérable l’étend à ses pieds d’un coup de hache. Une heure après, le mari revenant est tout étonné de voir son ancien domestique ramasser du linge qui était étendu pour sécher. Il suppose que c’est sa femme qui l’a chargé de ce soin ; mais à sa vue le Canaque s’enfuit, et en entrant dans sa maison il trouve Mme Porcheron par terre. M. Porcheron, à moitié fou, et sa femme, à moitié morte, ont fait 18 kilomètres à pied, l’un montant par momens à cheval pendant que l’autre marchait. Ils purent heureusement rejoindre un petit bateau qui fait toutes les semaines le trajet des postes entre Ourail et Nouméa, et arriver au chef-lieu. Dans un des postes peu éloignés de la ville, l’agent du télégraphe a été tué d’un coup de feu, sur son appareil, au moment où il annonçait à Nouméa ce qui se passait dans la contrée ; le chef du service télégraphique a été fort étonné de voir la dépêche interrompue au milieu d’une phrase. Un surveillant du nom de Lecas, chef du camp de la transportation de Bouloupari, aval sa femme, ses deux enfans et deux autres