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firent entendre, Chêne enleva la femme qui lui plaisait et l’entraîna chez lui. La tribu fut très justement irritée de ce rapt, qui n’eût été toléré, il faut bien le reconnaître, dans aucune colonie anglaise ; cette tribu était en outre, à ce que l’on suppose, très froissée de différentes mesures prises contre elle depuis deux ans environ au sujet de son cantonnement ; de là probablement la précipitation qu’elle a mise à se venger des blancs.

Il n’est donc pas téméraire d’affirmer que les meurtres commis sur Chêne, sa femme et ses deux enfans ont été le véritable prologue du drame qui devait commencer quelques jours après, drame dans lequel d’autres tribus que celle de Dogny étaient appelées à jouer un rôle. Malgré tout, cette impatience des guerriers de Dogny est heureuse, et nous devons nous féliciter de ce qu’elle se soit produite avant l’explosion d’un mouvement plus général.

Dans les guerres de tribu à tribu, les guerriers canaques, comme les héros d’Homère, se provoquent, et ce n’est qu’après de longs discours qu’ils en viennent aux mains. Dans leur soulèvement contre nous, ils ont cette fois agi différemment. En aucune circonstance, ils n’ont rien fait connaître de leurs ressentimens, mais ils ont commencé à se procurer des armes à feu par tous les moyens possibles, et déjà, dans les affaires d’assassinat commis sur les transportés au moyen d’armes à feu, jamais on n’avait pu retrouver celle dont le meurtrier s’était servi. On formait au sujet de ces disparitions toute sorte de conjectures, mais il n’était venu à l’esprit de personne que toutes ces armes étaient recueillies par les Canaques pour s’en servir contre nous un jour. Dès qu’ils eurent préparé un petit dépôt d’armes, ils formèrent un dépôt de vivres dans les montagnes, de façon à n’être pas surpris par la famine, comme ils le furent pendant la première guerre. Aussitôt qu’ils se sont vus armés et garantis de la disette, ils ont commencé leurs assassinats, fuyant toute rencontre sérieuse.

Comme nous l’avons dit, les premières victimes ont été celles de la station d’Ouaméni, le 2 juin. Les assassins, arrêtés par les gendarmes, furent conduits en prison. Mais, pendant la nuit du 2 juillet, les gendarmes furent surpris, assassinés, et les meurtriers de Chêne et de sa femme délivrés par les Canaques. Le lendemain, on apprenait qu’une autre brigade de gendarmes, plus rapprochée encore de Nouméa, avait été également « surprise » et menacée par des bandes de Canaques armés de fusils et de revolvers. Des télégrammes apportèrent bientôt la nouvelle que vingt et une victimes avaient succombé à la Foa : il y avait des colons, des condamnés, des libérés, des femmes indigènes, ainsi que des noirs des Nouvelles-Hébrides. Malgré ces sinistres présages, la population