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impérial, pourvu qu’on rendît à César ce qui appartenait à César, un vaste champ s’ouvrait à l’activité des citoyens hors de ce domaine interdit et sacré : il y avait, dans presque tous les états soumis à l’empire, des assemblées publiques avec un forum et une tribune, des comices populaires qui conféraient les charges et décernaient les honneurs ; la cité ou l’état formait un être complet, ayant tous les organes nécessaires à ses fonctions multiples et, pour principe de vie, la liberté. Cette liberté locale et municipale variait, il est vrai, et se graduait selon la condition particulière des états ; mais elle était grande partout, et nous retrouvons dans l’organisme vivant des cités, presque en tout pays, ces trois élémens de la souveraineté : l’assemblée générale du peuple, la curie ou sénat et le pouvoir exécutif. L’assemblée populaire faisait les élections et votait sur les propositions des magistrats ; le sénat gérait les affaires courantes, les intérêts journaliers de la cité ; quant au pouvoir exécutif, il était tantôt élu par l’assemblée du peuple, tantôt institué par le sénat. Une telle activité politique exige évidemment et suppose l’exercice fréquent, l’influence constante de la parole publique. Parmi les monumens de ces libertés municipales, on a retrouvé des professions de foi et des affiches électorales, des placards pour ou contre les candidats, des proclamations de la curie avouant ses préférences et pratiquant la candidature officielle : ces élections ainsi disputées provoquaient sans doute un large déploiement de véhémente éloquence. Certaines descriptions nous montrent, dans les séances des sénats provinciaux, les plus jeunes membres, vêtus de la prétexte, qui se tiennent debout en silence au milieu de la curie, délibérant : ce sont des auditeurs ou des stagiaires qui, en écoutant les orateurs, se forment à la discussion. Ausone, faisant l’éloge d’un célèbre professeur de Bordeaux, Minervius Victor, dit que sa chaire a donné mille orateurs au barreau, deux mille à la curie :

Mille foro dédit hæc juveneos ; bis mille senatus
Adjecit numero purpureisque togis.


Voilà une distinction bien marquée entre l’éloquence judiciaire et l’éloquence politique.

Que manquait-il à cette tribune municipale, théâtre des plus hautes ambitions et des plus sérieux talens de la province ? Ce qui lui faisait défaut, ce n’était, selon nous, ni la verve, ni la chaleur, car les passions s’enflamment pour les moindres causes ; c’était surtout, avec la grandeur des sujets, l’ampleur des discussions et l’élévation des sentimens. Il lui manquait l’émotion des suprêmes périls, l’orgueil de la toute-puissance, la séduction des succès